Eric CASTAGNE
CIRLEP EA 2071
Université de Reims Champagne-Ardenne
Intercompréhension et inférences :
de l'expérience EuRom4au projet ICE
EUROM4
est un programme qui a réuni sous la coordination de Madame le Professeur
Claire Blanche-Benveniste les compétences de plusieurs linguistes
des Universités d’Aix-Marseille1, de Lisbonne, de Rome III et de
Salamanque. Ce programme a consisté à élaborer une
méthode d’enseignement simultané de plusieurs langues romanes.
Les initiateurs de ce programme pensaient que les personnes
adultes qui parlaient une langue romane pouvaient apprendre, en un temps
très court, à en comprendre trois autres (pour les francophones,
le portugais, l’espagnol, et l’italien ; pour les hispanophes, le français,
l’italien et le portugais ; pour les italophones, le français, l’espagnol
et le portugais ; pour les lusophones, le français, l’italien et
l’espagnol). La méthode eurom4 a été élaborée
grâce à des séances empiriques pendant près
de cinq ans à Lisbonne, à Salamanque, à Rome et à
Aix-en-Provence, et propose d’atteindre l’objectif visé en 24 séances
d’une heure et demi chacune (une 1/2 heure par langue), soit 36 heures
au total. Cette méthode a été publiée sous
la forme d’un CD-Rom qui comporte, en plus des textes et des informations
grammaticales présents dans la version papier, les fichiers sons
des enregistrements sonores des textes lus par des natifs.
Je commencerai mon exposé par présenter les
motifs et contextes du programme eurom4. Puis à partir de quelques
pistes inspirées de l’expérience eurom4, j’aimerais montrer
comment on pourrait accéder à une forme d’intercompréhension
en Europe. Pour atteindre l’objectif fixé, la méthode eurom4
repose sur l’utilisation maximale des "transparences" entre les 4 langues,
mais aussi et surtout sur la pratique d’un certain nombre d’inférences.
Puis après l’exposition d’observations relevées pendant des
séances empiriques, j’aimerais montrer comment nous avons favorisé
et développé leur pratique dans le cadre du programme eurom4
et comment nous sommes en train d’étendre cette approche aux langues
germaniques dans le cadre du projet ICE "Inter Compréhension Européenne".
1. Motifs et contextes du programme EUROM4
Avec la construction européenne à 12 à l’époque
du début du programme, à 15 pays aujourd’hui, et à
plus encore demain, les échanges entre langues différentes
sont de plus en plus nombreux, tant pour les personnes que pour les entreprises
et les institutions. On pourrait imaginer le développement de l’Europe
linguistique, calqué en quelque sorte sur celui de l’Europe économique
qui a choisi la création et l’utilisation de l’Euro, en adoptant
le principe de la pratique d’un seul idiome commun. Mais quel serait cet
idiome commun ? Ce pourrait être la langue nationale d’un pays de
l’Europe. L’anglais, considéré à tort ou à
raison comme la langue internationale, semblerait obtenir la majorité
des suffrages du monde économique et commercial qui l’utilise déjà
avec plus ou moins de succès. Mais ce choix ne satisfait pas les
politiques pour au moins une raison : il irait à l’encontre d’un
des principes de base de la construction européenne qui, refusant
de privilégier une nation au dépens des autres, souhaite
respecter la revendication légitime des pays à la diversité
linguistique en Europe. Une autre solution pour un idiome commun serait
l’utilisation d’une langue "artificielle", inventée avec cet objectif
international recherché : l’espéranto ou, plus récemment,
l’europanto. Mais malgré un succès initial, la plus célèbre
d’entre elles n’a jamais réussi à s’imposer, vraisemblablement
par un manque d’identité "humaine". De nombreux spécialistes
parmi lesquels Claude Hagège ont été interrogés
sur cette question de la langue commune unique, et ils ont répondu
majoritairement que, contrairement aux Etats-Unis, l’Europe est composé
de plusieurs pays avec des peuples, des histoires et des cultures très
anciennes, et que par conséquent la solution linguistique de cette
Europe serait plutôt à chercher dans le passé de l’Europe
Centrale : le multilinguisme.
D’autre part, nous savons que l'enseignement des langues autres que l'anglais,
y compris comme langues secondes, sauf sans doute pour l’espagnol, est
en crise : les langues romanes sont de plus en plus rarement retenues comme
langue 1, et les résultats en langue 2 sont souvent frustrants pour
les enseignants et décevants pour les étudiants. Il nous
a paru urgent, dans le contexte de la construction européenne, de
revaloriser l'étude et la connaissance des langues romanes de l’Europe
du Sud, dans leur aire géographique naturelle et au-delà,
en fonction de liens culturels et économiques existants et pouvant
être développés. Il ne s’agit pas de partir en guerre
contre l’anglais à l’aide duquel se font une grande partie des échanges
commerciaux. Mais dans l’Europe du Sud, où la créativité
scientifique et culturelle (chanson, littérature, cinéma,
télévision, radio) n’a pas diminué et où les
Européens parlent des langues romanes assez proches, des chercheurs
dans des domaines culturels et scientifiques, des psychologues et des informaticiens
par exemple ont déjà pris l’habitude de collaborer, sans
privilégier aucune langue aux dépens des autres, en pratiquant
une forme de "plurilinguisme" très accessible et très commode
: chacun conserve sa langue maternelle pour s’exprimer par oral ou par
écrit (parce que pour l’expression écrite ou orale, c’est
la solution la plus confortable et la plus pratique), et comprend celle
de ses voisins.
L’objectif du programme eurom4 est que chacun de nous devrait pouvoir se
déplacer dans l’Europe du Sud en gardant sa langue pour s’exprimer
et en comprenant celle des autres. Il est absurde de voir communiquer en
anglais (c’est-à-dire une langue germanique) un Italien et un Français
qui, eux, appartiennent à la sphère socio-culturelle romane.
Il est regrettable d’avoir à utiliser un anglais approximatif, qui
infantilise les locuteurs, là où chacun, avec un effort minime,
pourrait se faire comprendre et comprendre les autres, en restant dans
sa langue maternelle. L'expérience eurom4 a confirmé la conviction
que nous avions au départ : apprendre, dans de bonnes conditions,
à comprendre deux ou trois autres langues romanes est une opération
assez facile, que l'on peut réussir en un temps assez court.
Pour ce faire, la méthode repose bien sûr sur l’utilisation
maximale des "transparences" dont je vais vous donner quelques exemples.
2. Quelques exemples de "transparences"
Les zones "transparentes" sont celles que les débutants
jugent faciles par le vocabulaire (radicaux presque semblables) et par
la syntaxe (ordre canonique : S V O). Par exemple, dans l’énoncé
italien La poligamia continua a dividere i sessi in Malesia(L’Expresso,1991),
les
mots du lexique sont communs aux quatre langues :
1)
P : A poligamia continua a dividir os sexos na Malásia
E : La poligamia continúa dividiendo los sexos
en Malasia
I : La poligamia continua a dividere i sessi in Malesia
F : La polygamie continue à diviser les sexes en
Malaisie
Même s'ils ne sont pas connus, les mots grammaticaux
peuvent être facilement identifiés. Il suffit de faire l'hypothèse
que la poligamia est le sujet et que le verbe est continua.
En revanche, un passage qui comporte des parenthèses
ou des incises entre tirets est considéré comme plus difficile.
C’est pourquoi dans l’énoncé portugais :
2a)
As três semanas de negociações tensas
- em que participaram 36 dos 38 países signatários do Tratado,
na estância balnear de Vína del Mar, na costa chilena - quase
terminaram num impasse
nous conseillons dans un premier temps de laisser de côté
la partie en incise et d’essayer de comprendre la partie de l’énoncé
dont la structure syntaxique est plus transparente et où la proportion
de mots transparents est plus forte :
2b)
As três semanas de negociações tensas
… quase terminaram num impasse
Puis quand cette partie de l’énoncé est maîtrisée,
l’incise peut alors être abordée :
2c)
… em que participaram 36 dos 38 países signatários
do Tratado, na estância balnear de Vína del Mar, na costa
chilena …
Il n’y a rien d’étonnant à utiliser au maximum
les zones "transparentes" dans une méthode où l’on réunit
4 langues d’une même famille. Ce qui est plus original, c’est le
développement systématique de la pratique d’inférences.
3. Quelques exemples d’inférences
Nous avons constaté que, lorsque nous cherchons à
comprendre un texte dans une langue "étrangère", c’est-à-dire
que nous ne connaissons pas, mais qui est proche d’une autre langue connue
de la même famille, nous identifions assez facilement les segments
transparents, mais nous pouvons découvrir aussi, très régulièrement,
des segments qui nous semblaient peu transparents, voire inconnus au premier
abord. La découverte de ces segments "opaques" peut se faire grâce
à plusieurs indices (contexte thématique connu, structure
syntaxique identifiée, proportion lexicale transparente forte) qui
permettent, en faisant des inférences, de "deviner" les segments
en question.
3.1. Inférences sémantiques
D’après nos observations, de nombreux textes comme
ceux de la presse écrite ou les textes techniques comportent beaucoup
d’associations lexicales souvent stéréotypées qui
peuvent être facilement décryptées dès que l’un
des termes est reconnu.
Nous avons relevé de très nombreux exemples
dans le cadre de la syntaxe verbale où le sens d’un verbe peut être
compris par la reconnaissance d’un complément. Dans un énoncé
extrait d’un article italien consacré à des découvertes
archéologiques :
3)
la loro costruzione risale a 1000 anni prima
delle piramidi egiziane (La Repubblica,1992)
le verbe risalen’est pas transparent, mais le complément
temporel à 1000 ans avant les pyramides égyptiennes
entraîne un verbe comme "dater de", "remonter à". En italien,
le verbe avere sciolto n’est pas transparent pour quelqu’un qui
ne connaît pas l’italien, mais le complément l’enigma
construit par ce verbe dans l’énoncé suivant :
5)
sostengono di avere sciolto l’enigma (L’expresso,
1991)
induit fortement le verbe " résoudre ". Il
en est de même avec le verbe portugais deixar qui n’est pas
transparent pour un francophone. Mais fumar, complément de
ce verbe dans l’énoncé extrait d’un article consacré
aux effets du tabac sur la santé des femmes :
4)
as mulheres inférteis devem portanto ser aconselhadas
a deixar de fumar (Público, 1992)
est souvent associé dans un tel article de presse
aux verbes "arrêter", "cesser". S’il était nécessaire,
le verbe précédent ser aconselhadasconfirmerait cette
hypothèse.
Nous avons relevé aussi de nombreux exemples dans
le cadre de la syntaxe nominale où le sens d’un substantif peut
être compris à partir de la reconnaissance d’une de ses déterminations.
Ainsi, dans l’énoncé portugais suivant :
6)
o camada de ozono que envolve a Terra sofreu
este ano uma diminuição sem precedentes (Público,
1992)
le substantif camadan’est pas transparent pour un
francophone. Mais à partir de la reconnaissance de ozono,
il n’y a plus de doute : camada correspond nécessairement
à "couche". Il en est de même du substantif aquecimentoqui
est mis en relation naturellement avec l’eau à partir de "aquatique"
et du thème général de l’article consacré au
phénomène écologique de l’invasion des eaux. Mais
dès la découverte du substantif planeta dans sa rection
:
7)
para diminuir o aquecimento global do planeta
(Época, 1992)
quel phénomène, traité régulièrement
par les médias, peut-il affecter globalement la planète sinon
son réchauffement qui doit être "diminué" ?
3.2. Inférences syntactico-sémantiques
De même les schémas syntactico-sémantiques
sont souvent très proches entre les langues d’une même famille.
Et la reconnaissance de l’un des termes permet le décodage du schéma
syntactico-sémantique de l’énoncé ainsi que par effet
de cascade le décodage des associations lexicales.
C’est souvent le cas quand le verbe est reconnu parce qu’il
impose l’architecture syntactico-sémantique de la construction en
question. Ainsi, dans l’énoncé italien suivant :
8)
Le prove piu evidenti, per la peculiarità della
sua alimentazione, le offre il popolo giapponese (La Stampa,
1992)
la structure syntaxique ne correspond au schéma canonique
SVO jugé transparent par le débutant francophone : les énoncés
à sujet postposé existent aussi en français, mais
de manière plus contrainte et plus rare. À partir du moment
où il a repéré le verbe "offre" qui est transparent,
il pose l’hypothèse que l’organisation syntactico-sémantique
de ce verbe est fréquemment du type "quelqu’un offre quelque chose
à quelqu’un". Dès lors, le terme [+Humain] non prépositionnel,
en l’occurrence il popolo giapponesedoit être interprété
comme le sujet et le terme non prépositionnel [-Humain], en l’occurrence
Le
prove piu evidenti,doit être interprété comme le
complément non prépositionnel (COD). Le repérage de
cette organisation s’est avéré ici fondamental pour accéder
à la compréhension de l’énoncé. Dans un autre
énoncé italien :
9)
sinora si sono confrontati nel dibattito due
punti di vista (La Stampa, 1992)
le candidat rencontre la même difficulté syntaxique
: un sujet postposé. Mais dès qu’il identifie si sono
confrontaticomme verbe recteur, il devient clair que due punti di
vistadoit être interprété comme le sujet.
4. La "méthode" EUROM4
ou comment favoriser la pratique des inférences
Au cours des séances, nous avons observé que
ce qui était considéré comme problème ou obstacle
par les débutants pouvait être contourné ou résolu
très souvent et assez facilement. En cela, nos observations ont
rejoint celles des spécialistes de la lecture en langue maternelle
qui sont d’accord avec le principe qu’un "bon" lecteur en langue maternelle
dispose de pouvoirs innés d’inférences et de prédictions
pour sauter par-dessus les obstacles, neutraliser les mots difficiles et
faire du sens avec l’ensemble avant de revenir sur les points de détails.
Une grande partie de notre travail a été de
développer des pratiques pour les aider à résoudre
ou à contourner ce qu’ils considéraient au départ
comme un problème ou un obstacle, puis ensuite de les convaincre
de l’utilité de ces pratiques. J’en présenterai ici trois
: la référence régulière au contexte, la lecture
par couches successives, et l’acceptation des approximations et des lacunes.
4.1. Se référer régulièrement
au contexte
Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’une partie de
la tâche du formateur eurom4 devait consister avant tout, non pas
à enseigner au débutant le vocabulaire et la grammaire de
la langue, mais à le persuader que la connaissance générale
qu’il avait du thème développé dans un texte pouvait
l’aider à "deviner" une grande partie de ce texte.
Ainsi quand il y a des passages que le proche contexte n’aide
pas apparemment à comprendre, il est conseillé de prendre
du recul et de resituer l’énoncé problématique dans
un contexte plus large. Le cadre contextuel élargi aide souvent
à comprendre le sens d’un verbe. Dans un énoncé italien
comme :
10)
un aereo da turismo si è schiantato ieri
mattina nel quartiere di Bromme, alla periferia di Stoccolma (La Stampa,
1992)
le verbe si è schiantato n’est transparent
pour aucune des 3 autres langues. Mais l’on sait avant même de lire
cet article que, lorsque l’on parle d’un avion dans un journal, il y aura
de fortes chances pour que ce soit à dessein de relater une catastrophe.
Le complément locatif nel quartiere di Bromme confirme cette
hypothèse. Plus loin dans le même article :
11)
Immediatamente, si sono sprigionate fiamme altissime
le verbe si sono sprigionate n’est pas plus transparent.
Mais compte tenu du contexte de la chute d’un avion, la reconnaissance
du sujet postposé fiamme altissime permet immédiatement
de lui attribuer en français le sens de se sont déclenchées.Le
cadre contextuel élargi aide aussi à comprendre le sens de
noms ou d’adjectifs. Par exemple, dans un article consacré à
la sécurité routière espagnole :
12)
El numero de heridos graves fue un 10,5
por 100 menor en 1992 (ABC, 1993)
le substantif heridosne peut être compris précisément
par un français que grâce à la relation établie
entre le thème général de l’article et l’adjectif
graves.Il
y a même des passages importants d’articles dont la construction
repose entièrement sur ce mécanisme et dont la compréhension
de beaucoup de substantifs repose à la fois sur le contexte général
et sur la reconnaissance de leur détermination. Dans un article
consacré au problème de la pollution radioactive en Artique
:
13)
trabajos nucleares no controlados durante décadas
en la antigua Inion Soviética hacen sospechar graves
riesgos
de contaminacion en los mares del Artico (…) la existencia de millares
de contenedores con desechos atomicos de alto poder toxico
(El País, 1992)
le contexte général ainsi que les adjectifs
nucleares
no controlados permettent d’interpréter ici le substantif trabajoscomme
"activités" plutôt que comme "travaux" riesgos,non
reconnu au premier abord, est identifié ici aussi dès que
le complément du nom de contaminacion en los mares del Artico
est relié au contexte général. Plus loin le substantif
desechos,d’une
forme relativement proche du mot français, n’est pourtant pas identifié
tant que la détermination atomicos n’est pas resituée
dans le cadre du contexte général. Enfin l’infinitif substantivé
poder,malgré
la présence des adjectifs alto … toxico,n’est souvent reconnu
qu’après un retour au contexte général.
C’est pourquoi, dans le cadre d’eurom4, et plus particulièrement
dans la méthode, nous visons la compréhension de textes de
presse écrite avec des savoirs largement partagés par les
populations des 4 langues (politique internationale, écologie, santé,…)
ou de textes spécialisés dans un thème bien connu
du lecteur. Meilleure sera la connaissance du sujet du texte, plus nombreuses
et meilleures seront les "prédictions".
4.2. Pratiquer une lecture par "couches successives"
En observant qu’un lecteur débutant dans une langue
étrangère développe des pratiques de mauvais lecteur
par une approche mot à mot, nous avons considéré qu’une
autre partie de la tâche du formateur était de les convaincre
qu’ils pourraient accéder au sens du texte, non pas à la
première lecture, mais après plusieurs passages à
la manière d’un lecteur de la presse quotidienne qui lit d’abord
tous les titres des articles, puis, revient sur un ou plusieurs articles
qui pourraient l’intéresser en les parcourant en diagonale, et enfin
s’attache à la lecture en détail d’un article qu’il aurait
repéré comme digne de son attention.
Ainsi, avec la méthode eurom4, quand il y a des passages
que les candidats jugent syntaxiquement complexes, c’est-à-dire
en général qui ne respectent pas le schéma syntaxique
canonique SVO, nous les invitons à écarter momentanément
les passages qui pourraient être à l’origine de ou des difficultés,
puis, une fois que la structure principale a été comprise,
à reprendre l’énoncé en y intégrant progressivement
des significations repérées avec relecture de l’ensemble
ainsi rendues moins opaques et les passages "perturbateurs". Par exemple,
hors contexte, le verbe offreest transparent.Mais
si nous reprenons un énoncé que l’on a déjà
vu :
8)
Le prove piu evidenti, per la peculiarità della
sua alimentazione, le offre il popolo giapponese (La Stampa,
1992)
la structure syntaxique assez complexe, en l’occurrence un
complément en tête, une incise, la reprise du complément
en tête sous forme de pronom et un sujet postposé, masque
l’identité grammaticale de offre.Cette identité est
d’autant plus "camouflée" que offre est précédé
par l’élément le: cet élément, repéré
généralement dans un premier temps comme un déterminant
article défini féminin pluriel, amène à analyser
le mot offrecomme un nom (ce qui, d’après les débutants,
serait confirmé par la même finale —e) et par conséquent
l’ensemble comme un syntagme nominal. Mais les candidats s’aperçoivent
rapidement que cette hypothèse n’est pas très fonctionnelle.
Parfois le verbe offreest grammaticalement identifié par
déduction : ce ne peut être Le prove piu evidenti,ni
per
la peculiarità della sua alimentazione,ni il popolo giapponese.
Parfois, après plusieurs passages, le verbe offre n’a pas
été identifié comme tel. Pour aider à repérer
le verbe offre,même s’il est par ailleurs transparent, nous
proposons de mettre entre parenthèse le complément
per
la peculiarità della sua alimentazione et le pronom leet
de travailler sur la forme de l’énoncé suivante :
8’)
Le prove piu evidenti offre il popolo giapponese
Même si la structure syntaxique ne correspond pas au
schéma canonique SVO, le candidat repère plus facilement
offrecomme
le verbe. À partir de cette reconnaissance, il va imaginer l’organisation
syntactico-sémantique la plus fréquente de ce verbe (quelqu’un
offre quelque chose à quelqu’un). Puis à partir des repérages
des syntagmes il popolo giapponesecomme [+Humain] et Le prove
piu evidenti comme [-Humain], il peut inférer la structuration
OVS de l’énoncé ainsi que nous l’avons vu précédemment,
et comprendre :
8’’)
Le peuple japonais offre les preuves les plus évidentes
Ayant compris le noyau central de cet énoncé,
nous réintégrons l’incise qui, non seulement ne pose plus
de problème, mais devient dès lors particulièrement
transparente :
8’’’)
Le peuple japonais (en) offre les preuves les plus évidentes
par la particularité de son alimentation
Quant au phénomène de "dislocation", c’est-à-dire
le complément en tête Le prove piu evidentirepris sous
forme pronominale le,les candidats observent deux comportements
: soit ils l’ont totalement oublié (ce qui confirme à notre
avis qu’il ne s’agit plus pour eux d’une difficulté), soit ils décident
de l’ignorer consciemment parce qu’ils jugent qu’il n’est pas nécessaire
pour la compréhension fondamentale de l’énoncé (en
particulier après avoir retourné l’énoncé sous
la forme SVO comme dans 8’’’). Même si parfois nous appelons leur
attention sur ce phénomène parce que relativement fréquent
et parce qu’il risque de représenter à nouveau une difficulté,
nous considérons que le niveau d’interprétation que nous
visons n’impose pas de rompre l’élan insufflé par la réussite
de cette étape, sur lequel nous souhaitons nous appuyer pour poursuivre
la lecture du texte (voir § 4.3). Ce qui est remarquable, c’est que
très souvent, quand on demande à la fin d’une séance
de reprendre le texte entier, beaucoup de participants intègrent
dans leur interprétation, automatiquement, parfois même inconsciemment,
les effets stylistiques.
Nous pratiquons de la même manière sur le plan
lexical. Quand il y a des mots non transparents, nous invitons dans un
premier temps les participants à utiliser les mots vides "machin",
"machiner", qui peuvent supporter toutes les informations reconnues (comme
la catégorie grammaticale, le genre et nombre du N ou personne et
temps du V), et qui évitent de bloquer la progression dans le texte
et souvent leur reconnaissance parce que la suite de l’énoncé,
voire du texte, peut comporter des informations fondamentales à
leur compréhension. Par exemple, lors de la première lecture
de l’énoncé italien suivant :
3)
la loro costruzione risale a 1000 anni prima
delle piramidi egiziane (La Repubblica, 1992)
on peut relever 2 difficultés lexicales apparentes,
loroet
risale,qui pourraient bloquer la progression. Pourtant
risaleet
loro,même s’ils ne sont pas transparents, sont en génaral
repérés respectivement comme un verbe et un adjectif. C’est
pourquoi proposons l’usage des mots "machin", "machiner" en lieu et place
des difficultés apparentes :
3’)
la "machine" construction "machine" à mille ans
avant les pyramides égyptiennes
L’usage du mot vide permet ainsi de prendre connaissance
de la structure syntaxique globale construite avec le verbe "machine"..Compte
tenu du contexte archéologique, le stéréotype le plus
courant avec le complément temporel "à mille ans avant
les pyramides égyptiennes" nous amène tout
naturellement à interpréter "risale a" comme "remonte à",
"date de" :
3’’) l
a "machine" construction remonte à mille ans
avant les pyramides égyptiennes
Cette identification débloque alors souvent la compréhension
de loro par la remise en perspective de l’énoncé dans
le texte :
3’’’)
leur construction remonte à mille ans avant les
pyramides égyptiennes
La lecture par "couches successives" peut parfois paraître
assez laborieuse quand le texte mêle plusieurs difficultés
dans un même énoncé. Mais cette approche s’est avérée
malgré tout très payante, y compris quand nous avons été
obligés de l’appliquer à un niveau macro : par exemple, il
nous est arrivé de rencontrer au milieu d’un texte un paragraphe
entier cumulant beaucoup de difficultés ; nous l’avons mis entre
parenthèses dans un premier temps, et après avoir compris
le reste du texte, nous sommes revenus à ce paragraphe avec beaucoup
plus de réussite.
4.3. Accepter les approximations et les lacunes
Sachant que l’objectif visé n’est pas l’apprentissage
exhaustif d’une langue mais l’accès à l’information et à
la connaissance, il est nécessaire de faciliter la tâche des
débutants en les aidant à accepter certaines approximations
et certaines lacunes.
D’une part, le contrat passé avec les participants
est de ne se concentrer que sur un seul objectif : la compréhension
globale et basique. L’apprentissage de l’expression, qu’elle soit orale
ou écrite, n’est pas abordée dans cette première phase.
Et la traduction qu’on leur demande ne doit pas être un exercice
en soi, mais seulement un moyen de vérifier leur compréhension.
Donc s’ils font ce que l’on pourrait analyser dans un autre contexte comme
des fautes de style, ou des inexactitudes très fines, on n’en tient
pas compte. Au départ, ce n’est pas facile parce qu’ils ont pris
certaines habitudes avec les enseignements traditionnels qui visent immédiatement
un niveau très soigné. Mais ils s’en libèrent très
rapidement et nous nous sommes aperçus que, sans ces appréhensions,
ils sont beaucoup plus dynamiques, volontaires, et performants dans la
pratique des inférences. Ce qui est remarquable, c’est qu’ils prennent
très rapidement l’habitude de proposer d’abord une interprétation
lexicale avec une couverture large, puis progressivement des solutions
de plus en plus affinées. Par exemple, dernièrement, dans
un texte italien :
14)
Ma finora le cause erano sconociute. (L’Expresso,
1991)
le segment ma finoran’était toujours pas reconnu
après plusieurs passages. Nous avons demandé au candidat
de reprendre la lecture au début de l’énoncé précédent
:
14’)
Ciascuno di noi ha provato infinite volte la sensazione
di sazietà che sopraggiunge dopo un pasto abondante. Ma finora
le cause erano sconociute.
Avec cet élan, il interpréta ma finorapar
"Mais pour l’instant", ce que nous avons considéré comme
une réussite. Puis à la fin de la séance, nous lui
avons demandé de reprendre la lecture de tout le texte étudié
et il proposa pour ce segment "mais jusqu’à présent". Et
ce type d’exemple n’est pas rare.
D’autre part, si les méconnaissances encyclopédiques
pourraient être considérées comme des obstacles à
l’apprentissage d’une langue, il est assez facile de convaincre les participants
que ce que l’on ne connaît pas dans sa propre langue ne peut pas
être compris dans une autre, d’ailleurs y compris si on la parle
très bien. Je me souviens de plusieurs exemples précis :
15)
Las familias de los campos de refugiados del Frente
Polisario celebraron (…) la entrada en vigor, el viernes, del alto
el fuego en el Sáhara occidental
16)
Ciascuno di noi ha provato infinite volte la sensazione
di sazietà che sopraggiunge dopo un pasto abondante (L’Expresso,
1991)
17)
Pour "voir" à travers le mauvais temps, de jour
comme de nuit, ERS 1 a été doté d’un radar à
synthèse d’ouverture (L’Express, 1991)
Certains étudiants ne connaissent pas l’existence
du "Front Polisario", voire même la signification du mot "satiété".
Peu de personnes parmi nous savent réellement ce qu’est "un radar
à synthèse d’ouverture". Mais est-ce réellement important
? Est-ce que ces méconnaissances encyclopédiques doivent
nous empêcher de prendre connaissance de ces textes ? Il nous arrive
tous les jours de lire dans notre langue maternelle des articles dont un
passage nous échappe et de le sauter tout naturellement. Ils proposent
sans aucune problème la citation dans la langue d’origine "Frente
Polisario", une paraphrase "la sensation d’être rassasié",
une traduction approximative "radar especial", ou une traduction littérale.
5. Applications de la méthode EUROM4
à d’autres langues : le projet ICE
Le projet présenté constitue un prolongement
au travail sur l’enseignement simultané de plusieurs langues apparentées,
entrepris depuis 1990 dans le cadre du programme EUROM4
avec la famille des langues romanes.
Après avoir collaboré à l’élaboration
de la méthode EUROM4,
présenté sa philosophie dans plusieurs pays européens
(France, Espagne, Italie, Roumanie, Allemagne, Finlande), et encadré
plusieurs stages pour des étudiants SOCRATES, notamment dans les
cadres du Module Européen "Langues et Cultures de l’Europe Méditerranéenne"
et du D.U. "Méditerranée Contemporaine : Culture et Communication",
j’en suis arrivé à l’étape où je m’intéresse
à ses prolongements vers d’autres familles de langues. Le projet
ICE consiste à élaborer une méthode d’enseignement
simultané à la compréhension de plusieurs langues
"voisines" (dans sa première phase : anglais, allemand, néerlandais
pour un public francophone).
5.1. Organisation de séances d’observation
empiriques
Pour commencer, nous avons réuni, une fois par mois,
pendant une durée de 90 minutes environ, un groupe de "volontaires",
qui ont étudié au moins une langue germanique pour leur soumettre
des productions écrites dans une des langues qu'ils ne connaissaient
pas. À partir de novembre 2001, le rythme des séances est
devenu hebdomadaire.
Les volontaires font partie pour l’instant de la population
estudiantine de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université
de Reims Champagne-Ardenne, mais nous continuons à proposer notre
expérience à des étudiants en Sciences Économiques
ou en Droit, ainsi qu’à d’autres personnes de la société
civile. Pour l’instant, leur motivation est la suivante : ils ont tous
étudié l’anglais, le parlent plus ou moins bien, l’un d’entre
eux a étudié aussi l’allemand en collège, et tous
souhaiteraient accéder à la compréhension de l’allemand
et du néerlandais qui sont deux langues parlées dans des
régions proches de la Champagne-Ardenne.
En s’inspirant largement de l’expérience eurom4, les
textes ont tous été choisis pour l’instant dans les rubriques
de politique internationale ou la rubrique culturelle de grands journaux
néerlandais, flamands et allemands. Pendant les séances d’observation,
il est procédé à un relevé systématique
des observations sur des fiches préparées à cette
attention sur lesquelles sont notées toutes les réactions.
Pour atteindre l’objectif fixé, notre méthode
repose bien sûr sur l’utilisation maximale des "transparences" entre
langues, mais aussi, encore plus que dans l’expérience romane, sur
la pratique d’un certain nombre d’inférences. Il est évident
que, dans le cadre du projet ICE, les transparences sont moins nombreuses
que lors de l’expérience eurom4, et que la pratique d’inférences
devient fondamentale. Nous favorisons cette démarche grâce
à l’optimisation des pratiques que j’ai exposées précédemment
(voir § 4).
5.2. Premières observations générales
Au moment de la présentation de cette communication,
nous avons animé 8 séances sur des textes en néerlandais
et en allemand, nous n’avons pas encore recueilli beaucoup de données,
mais nous avons été étonnés de constater déjà
au bout de quelques séances des progrès notables. L’application
aux langues germaniques ne nous paraissait pas a priori aisée, il
est maintenant certain qu’elle ne le sera pas, mais notre équipe
est d’accord pour penser que nous pourrons parvenir à un résultat
intéressant.
5.2.1. Quelques difficultés de base
Certes il y a de nombreux points qui posent problème,
et en particulier certaines caractéristiques graphiques peu communes
pour des locuteurs de langue française, qui sont à l’origine
de gênes plus ou moins importantes dès le premier contact
:
18)
les doubles voyelles : twee(deux), geen(aucun),
vandaag(aujourd’hui), maatregel (mesure), …
19)
certes suites graphiques : onmiddellijke, gevolg,
....
Malheureusement la lecture a tendance pour l’instant à
accentuer cette gêne, avec en particulier un nombre élevé
de sons et de syllabes fermées auxquels les Français ne sont
pas habitués :
20)
heeft, vandaag, beslist, om, met, onmiddellijke,
ingang, …
Le problème qui nous paraît pour l’instant le
plus important à résoudre est celui de la compréhension
des verbes. De nombreux verbes ont des radicaux non transparents :
21)
allemand : lösen (régler), entschlossen
(décidé), …
22)
néerlandais : levert (donne), sluiten
(fermer), …
Pourtant nous savons, et nos observations ont confirmé
cela, que c’est par les verbes, leur identification et leur compréhension,
que passe la compréhension des textes.
5.2.2. Indices grammaticaux et lexicaux favorables
Malgré ces difficultés, nous sommes optimistes
pour plusieurs raisons. L’allemand et le néerlandais possèdent
indéniablement des propriétés grammaticales qui n’existent
pas dans les langues romanes et qui apportent une aide non négligeable
au lecteur débutant. Par exemple, dans l’énoncé allemand
suivant :
23)
Silvia von Schweden, eine gebürtige Deutsche,
kennt die Raffinessen der skandinavischen Küche. (Die Welt,
2001)
les constituants du syntagme eine gebürtige Deutsche
peuvent être immédiatement analysés, y compris par
un débutant : eine(déterminant), Deutsche(Nom,
parce qu’il y a une majuscule à l’initiale), et gebürtige(adjectif,
parce que placé entre un déterminant et un adjectif). Il
s’agit là d’une aide plus important qu’on ne le croit dans le repérage
des éléments constitutifs, qui oriente directement la compréhension.
C’est cette information, et non pas la finale du mot, qui permettra au
débutant d’identifier Deutschecomme un nom, mais skandinavischencomme
un adjectif. Cette aide n’existe pas dans les langues romanes où
les débutants rencontrent souvent des difficultés pour distinguer
à l’intérieur d’un même syntagme le noms du ou des
adjectifs comme dans l’énoncé espagnol suivant :
24)
Los niveles de ozono irritante (que se produce por la
oxidación del oxígeno en determinadas condiciones atmosféricas)
han llenado los hospitales de personas (ABC, 1993)
où les débutants identifient souvent à
la première lecture determinadascomme le nom et condiciones
atmosféricascomme des adjectifs. Un autre exemple est celui
de la position fixe du verbe en allemand et en néerlandais (2e
place dans la structure principale s’il s’agit d’un temps simple, 2e
place pour la forme conjuguée et à la fin pour la forme non
conjuguée s’il s’agit d’un temps composé, à la fin
dans les subordonnées) qui permet également leur repérage
immédiat, comme levert en 25 ou is … uitgebrokenen
26 :
25)
België levert Russen twee weken geen
visa (De Standaart, 2001)
26)
In een commandocentrum voor het besturen van
Russische militaire satellieten is brand uitgebroken. (Volkskrant,
2001)
Si sur le plan morphologique, les terminaisons casuelles
de l’allemand, qui les perturbaient au tout début, semblent aujourd’hui
pratiquement ignorées, à l’exception de temps en temps du
" -s " de certains génitifs et du " -en " de certains pluriels,
en revanche sur le plan lexical, nous savons déjà qu’ils
trouveront beaucoup d’indices dans les nombreux mots concaténés
présents en allemand et en néerlandais où au moins
l’un des morphèmes peut être reconnu :
27)
allemand : Aussen/minister (ministre
des affaires étrangères), Zeit/plan (calendrier),
Zu/frieden/heit (satisfaction)
28)
néerlandais : asiel/aanvragen (demandes
d’asile), buitten/landse zaken, (extérieures,
étrangères), grond/gebied (territoire)
5.2.3. Lecture oralisée des textes
Même si la lecture n’aide pas à comprendre le lexique, nos
" volontaires " demandent tout de même une " lecture adaptée
", qui aide à comprendre la structure du texte, en repérant
les éléments qui forment des ensembles, et en dégageant
des éléments de compré-hension par l’intonation. Par
exemple, dans l’énoncé allemand suivant :
29)
Grossbritannien und Spanien verhandeln offenbar über
einen Geheimplan, der den schwelenden Streit um Gibraltar ein für
alle Mal Beilegen soll. (Die Welt, 2001)
la lecture peut aider à comprendre dans un premier
temps la structure syntaxique globale de la structure principale dans laquelle
offenbar
et der den schwelenden Streit um Gibraltar ein für alle Mal Beilegen
soll sont considérées comme des difficultés :
29’)
[Grossbritannien und Spanien] [verhandeln offenbar]
[über einen Geheimplan, der den schwelenden Streit um Gibraltar ein
für alle Mal Beilegen soll]
puis dans un second temps, la structure interne de la relative
dans laquelle der, ein für alle Mal, et le groupe verbal
constitué de 2 verbes ne sont pas bien identifiées :
29’’)
[der] [den schwelenden Streit um Gibraltar] [ein für
alle Mal] [Beilegen soll]
Contrairement à ce que nous pensions au départ,
la lecture oralisée des textes écrits apporte aussi dans
cette expérience une aide à ne surtout pas négliger.
5.3. Quelques exemples d’inférence
Nous nous sommes aperçu rapidement que, si nous ne
pouvions nous appuyer sur les transparences autant que lors de l’expérience
eurom4, nous devions privilégier au maximum la pratique d’inférences.
Par exemple, prenons le début d’un texte en néerlandais
intitulé Brand in grondstation Russische satellieten, qui
a été le deuxième texte étudié et qui
est tout à fait représentatif de notre expérience
ICE :
30)
Brand in grondstation
Russische satellieten
In een commandocentrum voor het besturen van Russische militaire
satellieten is brand uitgebroken. Als gevolg daarvan heeft
het centrum de afgelopen nacht de controle over vier satellieten
verloren. (Volkskrant, 2001)
Tous les mots en gras ont été trouvés
par inférence. Ainsi, dans le titre, on repère facilement
par transparence le complément locatif "dans une station terrestre
de satellites russes", mais pas le mot brand.Mais quand la presse
écrite consacre un article à une telle station, elle le fait
souvent pour relater une catastrophe. Misant sur cette hypothèse
et l’associant à des mots comme "brandy" (l’eau-de-vie ou "l’eau-de-feu"
comme disaient les indiens) et "brandon" (une sorte de torche), le candidat
volontaire a proposé "incendie". Dans la première phrase
de l’article, tout a été reconnu sauf uitgebrokenet
besturen.Mais dans le cadre du contexte défini dans le titre,
la reconnaissance du sujet "un incendie" et du complément locatif"
dans un centre de commandement … "n’a laissé aucun doute sur l’identité
grammaticale et le sens du syntagme is … uitgebroken: il s’agit
du groupe verbal à interpréter comme "est apparu" ou "s’est
déclenché". La découverte du groupe verbal a provoqué
par ricochet la compréhension de besturen, c’est-à-dire
"guidage", "contrôle". Dans la deuxième phrase, plusieurs
mots ou groupes de mots ont été difficiles à comprendre
: Als gevolg daarvan,afgelopen et verloren.Puis, lors de
la deuxième lecture, nous avons insisté auprès du
candidat volontaire sur le fait qu’il devait tenir en compte de toutes
les informations que nous disposions à ce stade, c’est-à-dire
"le centre a ‘machiné’ le contrôle de plusieurs satellites".
En les situant dans le contexte général de l’article, c’est-à-dire
qu’"il y a un incendie dans un centre de contrôle de satellites",
le candidat a reconnu verloren comme "perdu". Après un nouveau
blocage sur afgelopen,nous avons insisté sur la situation
de rédaction d’un article de presse : sans plus d’indication, le
candidat a interprété de afgelopen nacht par "la nuit
précédente". De même le contexte général
et le lien entre ces 2 phrases ont aidé le candidat à reconnaître
Als
gevolg daarvan comme "en conséquence".
Le début d’un texte en allemand intitulé "Was
isst eine schwedische Patriotin ?" nous a conduits à confirmer nos
observations.
31)
Was isst eine schwedische Patriotin ?
Nicht nur Knäckebrot. Silvia von Schweden, eine gebürtige
Deutsche, kennt die Raffinessen der skandinavischen Küche. Obwohl
daheim ihr Gemahl Carl XVI. Gustav kocht. (Die Welt,
2001)
Nous avons choisi de donner aux participants le titre, "que
mange une patriote suédoise ?", parce qu’il comporte un jeu de mots
avec l’énoncé homophone "Was ist eine schwedische
Patriotin ?" (Qu’est-ce une patriote suédoise ?). À partir
de la reconnaissance de Knäckebrot("pain craquant type Wasa",
d’après les participants), de la négation Nichtet
dans la cadre défini par le titre, nura été
identifié comme "seulement", soit "pas seulement du pain craquant".
gebürtigea été inféré à
partir du nom Deutscheet du lien établi avec le mot gebürtstag(anniversaire).
Ihr Gemahla été identifié à partir de
Carl XVI. Gustav: s’il s’agit du roi et que Silvia est la reine,
alors ce ne peut être que "son époux". Obwohl daheima
été inféré à partir de l’opposition
entre les 2 énoncés.
6. Conclusion
Les résultats obtenus jusqu’à présent
avec notre approche simultanée et contrastive sont plus qu’encourageants.
A la fin des stages EuRom4, les participants déclarent
en général avoir atteint les objectifs fixés, et en
plus avec la surprise d’avoir pris beaucoup de plaisir.
De plus, depuis trois ans, sous l’impulsion d’Eveline Caduc,
j’ai tenté l’expérience à l’Université de Nice
Sophia-Antipolis, dans le cadre du Module Européen "Langues et Cultures
de l’Europe Méditerranéenne" et du D.U. "Méditerranée
Contemporaine : Culture et Communication (MC3)", d’encadrer un stage EuRom4
avec une majorité d’étudiants de langue maternelle non romane
(étudiants Erasmus allemands, grecs, roumains, polonais, estoniens)
pour lesquels la méthode n’a pas été pensée
ni expérimentée. Ces étudiants, qui ont en général
un niveau débutant ou moyen en français et qui appartiennent
à des filières universitaires variées, ont atteint
le même taux de réussite avec un temps de formation un plus
long que celui prévu au départ pour les étudiants
de langue maternelle romane. Cette réussite est vraisemblablement
due au fait qu’ils parlent plusieurs langues et qu’ils sont déjà
habitués à jongler avec elles.
Cette dernière expérience et les observations
que nous avons commencé à recueillir au cours des séances
d’ICE organisées jusqu’à présent ont confirmé
l’intuition que nous avions au début de notre projet, à savoir
que les objectifs fixés pouvaient être atteints, pas seulement
avec des LANGUES APPARENTEES, mais aussi avec des LANGUES "VOISINES" grâce
à la connaissance, pas nécessairement avancée, de
l’une de ces langues (par exemple, pour l’instant, français comme
langue maternelle et anglais pour l’apprentissage simultané de la
compréhension écrite de l’allemand et du néerlandais).
En particulier, les volontaires participant à notre expérience
ont été agréablement surpris par leurs progrès
en compréhension du néerlandais alors même que les
premiers contacts écrits et oraux avec cette langue les avaient
laissés perplexes pour ne pas dire dubitatifs au début de
l’expérience.
Les programmes EUROM4 et ICE proposent plusieurs pistes qui
pourraient inspirer le renouvellement de l’enseignement des langues étrangères
en Europe : par exemple, aborder simultanément et contrastivement
la compréhension de plusieurs langues d’une même famille avant
de passer à l’étude de l’expression d’une ou plusieurs de
ces langues. La modélisation de cette forme d’apprentissage simultané
et contrastif à l’intérieur d’une même famille de langues
a mis clairement en évidence qu’il s’agit d’un enseignement qui
ne serait pas un processus par lequel on apprendrait (pas de liste de vocabulaire,
pas de tableaux de conjugaisons, pas de tableaux de déclinaisons
à apprendre par cœur), mais par lequel on serait amené à
SE RAPPELER (rappels de toutes ses connaissances : des connaissances du
thème général, de sa propre connaissance du monde,
des connaissances de sa langue maternelle, des connaissances acquises dans
d’autres langues, etc.). L’utilisation des " transparences ", l’établissement
d’" inférences ", la lecture par " couches succes-sives ", la lecture
oralisée des textes écrits, et même la libre consultation
de listes de verbes ou de tableaux de conjugaisons (tous deux présentés
sous forme contrastive) ne sont que des outils pour se rappeler.
Dans le cadre de ces programmes, l’enseignement n’est donc
pas envisagé comme un processus d’insertion de la connaissance :
il est un processus d’EXTRACTION de la connaissance. Et l’enseignant doit
être conscient qu’il n’a pas plus de connaissances que son disciple,
mais qu’il a seulement une plus grande MEMOIRE.
Les résultats que nous avons déjà commencé
à obtenir avec ICE confirment que l’approche développée
dans les deux programmes proposerait une " nouvelle " piste pour accéder
à une forme d’inter-compréhension européenne. Dans
le monde d’aujourd’hui, c’est l’INFORMATION elle-même, plus que sa
circulation, qui est la véritable richesse : c’est l’information
qui mène à la CONNAISSANCE. Mais pour accéder à
cette richesse, qui circule de différentes manières (presse
écrite, radio, télévision, internet, etc.) sous différentes
langues, il n’est pas nécessaire de maîtriser toutes les compétences
en langues. Parler 2 ou 3 langues européennes, mais pouvoir en comprendre
4 ou 5 de plus en fonction de ses besoins, permettrait d’accéder
à un immense réservoir d’informations et de connaissances,
avec un investissement minimal en temps et en énergie.
Plus généralement ces projets s’insèrent
dans le cadre de la CONSTRUCTION DE L’UNION EUROPEENNE. Inspirée
de la tradition historique des échanges linguistiques pratiques
développés par les marins et les voyageurs des pays du Sud
ou par les commerçants des foires médiévales, l’ambition
du programme EUROM4
et du projet ICE est d’aider à retrouver cette agilité et
de convaincre que la pratique de la forme de " plurilinguisme ", telle
que nous l’envisageons, étendue à l’espace européen
entier participerait à sa CONSOLIDATION.
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