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" ô ma mère ! " s' écria Ginevra tout attendrie . Elle éprouvait le besoin de se jeter à ses genoux , de la voir , et de respirer l' air bienfaisant de la maison paternelle ; elle s' élançait déjà , quand Luigi entra ; elle le regarda , et sa tendresse filiale s' évanouit , ses larmes se séchèrent , elle ne se sentit pas la force d' abandonner cet enfant si malheureux et si aimant .
être le seul espoir d' une noble créature , l' aimer et l' abandonner ? ... ce sacrifice est une trahison dont sont incapable de jeunes âmes .
Ginevra eut la générosité d' ensevelir sa douleur au fond de son âme .
Enfin , le jour du mariage arriva . Ginevra ne vit personne autour d' elle . Luigi avait profité du moment où elle s' habillait pour aller chercher les témoins nécessaires à la signature de leur acte de mariage .
Ces témoins étaient de braves gens . L' un , ancien maréchal des logis de hussards , avait contracté , à l' armée , envers Luigi , de ces obligations qui ne s' effacent jamais du coeur d' un honnête homme ; il s' était mis loueur de voitures et possédait quelques fiacres .
L' autre , entrepreneur de maçonnerie , était le propriétaire de la maison où les nouveaux époux devaient demeurer . Chacun d' eux se fit accompagner par un ami , puis tous quatre vinrent avec Luigi prendre la mariée .
Peu accoutumés aux grimaces sociales , et ne voyant rien que de très simple dans le service qu' ils rendaient à Luigi , ces gens s' étaient habillés proprement , mais sans luxe , et rien n' annonçait le joyeux cortège d' une noce .
Ginevra , elle - même , se mit très simplement afin de se conformer à sa fortune ; néanmoins sa beauté avait quelque chose de si noble et de si imposant , qu' à son aspect la parole expira sur les lèvres des témoins qui se crurent obligés de lui adresser un compliment , ils la saluèrent avec respect , elle s' inclina ; ils la regardèrent en silence et ne surent plus que l' admirer .
Cette réserve jeta du froid entre eux .
La joie ne peut éclater que parmi des gens qui se sentent égaux . Le hasard voulut donc que tout fût sombre et grave autour des deux fiancés .
Rien ne refléta leur félicité . L' église et la mairie n' étaient pas très éloignées de l' hôtel . Les deux Corses , suivis des quatre témoins que leur imposait la loi , voulurent y aller à pied , dans une simplicité qui dépouilla de tout appareil cette grande scène de la vie sociale .

LA VENDETTA (I, privé)
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