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Pendant cette journée , elle resta plus d' une fois , sa palette d' une main , son pinceau de l' autre , sans que le pinceau s' abreuvât des couleurs de la palette : les yeux attachés sur l' officier et la bouche légèrement entrouverte , elle écoutait , se tenant toujours prête à donner un coup de pinceau qu' elle ne donnait jamais . Elle ne s' étonnait pas de trouver tant de douceur dans les yeux du jeune homme , car elle sentait les siens devenir doux malgré sa volonté de les tenir sévères ou calmes .
Puis , elle peignait ensuite avec une attention particulière et pendant des heures entières , sans lever la tête , parce qu' il était là , près d' elle , la regardant travailler .
La première fois qu' il vint s' asseoir pour la contempler en silence , elle lui dit d' un son de voix ému , et après une longue pause : " Cela vous amuse donc de voir peindre ? " Ce jour - là , elle apprit qu' il se nommait Luigi .
Avant de se séparer , ils convinrent que , les jours d' atelier , s' il arrivait quelque événement politique important , Ginevra l' en instruirait en chantant à voix basse certains airs italiens .
Le lendemain , Mlle Thirion apprit sous le secret à toutes ses compagnes que Ginevra di Piombo était aimée d' un jeune homme qui venait , pendant les heures consacrées aux leçons , s' établir dans le cabinet noir de l' atelier .
" Vous qui prenez son parti , dit - elle à Mlle Roguin , examinez - la bien , et vous verrez à quoi elle passera son temps . "
Ginevra fut donc observée avec une attention diabolique . On écouta ses chansons , on épia ses regards . Au moment où elle ne croyait être vue de personne , une douzaine d' yeux étaient incessamment arrêtés sur elle .
Ainsi prévenues , ces jeunes filles interprétèrent dans leur sens vrai les agitations qui passèrent sur la brillante figure de l' Italienne , et ses gestes , et l' accent particulier de ses fredonnements , et l' air attentif avec lequel on la vit écoutant des sons indistincts qu' elle seule entendait à travers la cloison .
Au bout d' une semaine , une seule des quinze élèves de Servin , Laure , avait résisté à l' envie d' examiner Louis par la crevasse de la cloison ; et , par un instinct de la faiblesse , elle défendait encore la belle Corse ; Mlle Roguin voulut la faire rester sur l' escalier à l' heure du départ afin de lui prouver l' intimité de Ginevra et du beau jeune homme en les surprenant ensemble ; mais elle refusa de descendre à un espionnage que la curiosité ne justifiait pas , et devint l' objet d' une réprobation universelle .

LA VENDETTA (I, privé)
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