----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

" Elle ne croit pas qu' on ait eu la pensée de l' insulter , dit Mathilde , elle n' a ni pâli , ni rougi . Comme ces demoiselles vont être vexées si elle se trouve mieux à sa nouvelle place qu' à l' ancienne ! - Vous êtes là hors ligne , mademoiselle " , ajouta - t - elle alors à haute voix en s' adressant à Ginevra .
L' Italienne feignit de ne pas entendre , ou peut - être n' entendit - elle pas , elle se leva brusquement , longea avec une certaine lenteur la cloison qui séparait le cabinet noir de l' atelier , et parut examiner le châssis d' où venait le jour en y donnant tant d' importance qu' elle monta sur une chaise pour attacher beaucoup plus haut la serge verte qui interceptait la lumière .
Arrivée à cette hauteur , elle atteignit à une crevasse assez légère dans la cloison , le véritable but de ses efforts , car le regard qu' elle y jeta ne peut se comparer qu' à celui d' un avare découvrant les trésors d' Aladin ; elle descendit vivement , revint à sa place , ajusta son tableau , feignit d' être mécontente du jour , approcha de la cloison une table sur laquelle elle mit une chaise , grimpa lestement sur cet échafaudage , et regarda de nouveau par la crevasse .
Elle ne jeta qu' un regard dans le cabinet alors éclairé par un jour de souffrance qu' on avait ouvert , et ce qu' elle y aperçut produisit sur elle une sensation si vive qu' elle tressaillit .
" Vous allez tomber , mademoiselle Ginevra " , s' écria Laure .
Toutes les jeunes filles regardèrent l' imprudence qui chancelait . La peur de voir arriver ses compagnes auprès d' elle lui donna du courage , elle retrouva ses forces et son équilibre , se tourna vers Laure en se dandinant sur sa chaise , et dit d' une voix émue : " Bah ! c' est encore un peu plus solide qu' un trône ! " Elle se hâta d' arracher la serge , descendit , repoussa la table et la chaise bien loin de la cloison , revint à son chevalet , et fit encore quelques essais en ayant l' air de chercher une masse de lumière qui lui convînt .
Son tableau ne l' occupait guère , son but était de s' approcher du cabinet noir auprès duquel elle se plaça , comme elle le désirait , à côté de la porte .
Puis elle se mit à préparer sa palette en gardant le plus profond silence .
à cette place , elle entendit bientôt plus distinctement le léger bruit qui , la veille , avait si fortement excité sa curiosité et fait parcourir à sa jeune imagination le vaste champ des conjectures .

LA VENDETTA (I, privé)
Page:1048