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Il faut avoir été ministre et disgracié pour connaître l' amère douleur qui saisit Mme du Bousquier , alors qu' elle fut réduite à l' ilotisme le plus complet . Elle montait souvent en voiture contre son gré , elle voyait des gens qui ne lui convenaient pas ; elle n' avait plus le maniement de son cher argent , elle qui s' était vue libre de dépenser ce qu' elle voulait et qui alors ne dépensait rien . Toute limite imposée n' inspire - t - elle pas le désir d' aller au - delà ? Les souffrances les plus vives ne viennent - elles pas du libre arbitre contrarié ? Ces commencements furent des roses .
Chaque concession faite à l' autorité maritale fut alors conseillée par l' amour de la pauvre fille pour son époux . Du Bousquier se comporta d' abord admirablement pour sa femme ; il fut excellent , il lui donna des raisons valables , à chaque nouvel empiétement .
Cette chambre , si longtemps déserte , entendit le soir la voix des deux époux au coin du feu . Aussi , pendant les deux premières années de son mariage , Mme du Bousquier se montra - t - elle satisfaite .
Elle avait ce petit air délibéré , finaud qui distingue les jeunes femmes après un mariage d' amour . Le sang ne la tourmentait plus .
Cette contenance dérouta les rieurs , démentit les bruits qui couraient sur du Bousquier et déconcerta les observateurs du coeur humain . Rose - Marie - Victoire craignait tant , en déplaisant à son époux , en le heurtant , de le désaffectionner , d' être privée de sa compagnie , qu' elle lui aurait sacrifié tout , même son oncle .
Les petites joies niaises de Mme du Bousquier trompèrent le pauvre abbé de Sponde , qui supporta mieux ses souffrances personnelles en pensant que sa nièce était heureuse .
Alençon pensa d' abord comme l' abbé . Mais il y avait un homme plus difficile à tromper que toute la ville ! Le chevalier de Valois , réfugié sur le Mont - Sacré de la haute aristocratie , passait sa vie chez les d' Esgrignon ; il écoutait les médisances et les caquetages , il pensait nuit et jour à ne pas mourir sans vengeance .
Il avait abattu l' homme aux calembours , il voulait atteindre du Bousquier au coeur .
Le pauvre abbé comprit les lâchetés du premier et dernier amour de sa nièce , il frémit en devinant la nature hypocrite de son neveu , et ses manoeuvres perfides .
Quoique du Bousquier se contraignît en pensant à la succession de son oncle , et ne voulût lui causer aucun chagrin , il lui porta un dernier coup qui le mit au tombeau .

LA VIEILLE FILLE (IV, provinc)
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