----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Cette carriole , connue de toute la ville , était soignée par Jacquelin autant que le plus beau coupé de Paris : Mademoiselle y tenait , elle s' en servait depuis douze ans , elle faisait observer ce fait avec la joie triomphante de l' avarice heureuse . La plupart des habitants savaient gré à Mlle Cormon de ne pas les humilier par le luxe qu' elle aurait pu afficher ; il est même à croire que , si elle avait fait venir de Paris une calèche , on en aurait plus glosé que de ses mariages manqués .
La plus brillante voiture d' ailleurs l' aurait conduite au Prébaudet tout comme la vieille carriole .
Or , la Province , qui voit toujours la fin , s' inquiète assez peu de la beauté des moyens , pourvu qu' ils soient efficients .
Pour achever la peinture des moeurs intimes de cette maison , il est nécessaire de grouper , autour de Mlle Cormon et de l' abbé de Sponde , Jacquelin , Josette et Mariette la cuisinière qui s' employaient au bonheur de l' oncle et de la nièce .
Jacquelin , homme de quarante ans , gros et court , rougeaud , brun , à figure de matelot breton , était au service de la maison depuis vingt - deux ans . Il servait à table , il pansait la jument , il jardinait , il cirait les souliers de l' abbé , faisait les commissions , sciait le bois , conduisait la carriole , allait chercher l' avoine , la paille et le foin au Prébaudet , il restait à l' antichambre le soir , endormi comme un loir .
Il aimait , dit - on , Josette , fille de trente - six ans , que Mlle Cormon aurait renvoyée si elle se fût mariée .
Aussi ces deux pauvres gens amassaient - ils leurs gages et s' aimaient - ils en silence , attendant et désirant le mariage de Mademoiselle , comme les Juifs attendent le Messie .
Josette , née entre Alençon et Mortagne , était petite et grasse , sa figure , qui ressemblait à un abricot crotté , ne manquait ni de physionomie ni d' esprit ; elle passait pour gouverner sa maîtresse .
Josette et Jacquelin , sûrs d' un dénouement , cachaient une satisfaction qui faisait présumer que ces deux amants s' escomptaient l' avenir .
Mariette , la cuisinière , également depuis quinze ans dans la maison , savait accommoder tous les plats en honneur dans le pays .
Peut - être faudrait - il compter pour beaucoup la grosse vieille jument normande bai - brun qui traînait Mlle Cormon à sa campagne du Prébaudet , car les cinq habitants de cette maison portaient à cette bête une affection maniaque .

LA VIEILLE FILLE (IV, provinc)
Page: 865