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C' était un homme de haute taille , sec , à manières graves , solennelles , dont le visage exprimait des sentiments doux , un grand calme intérieur , et qui , par sa présence , imprimait à cette maison une autorité sainte . Il aimait beaucoup le voltairien chevalier de Valois . Ces deux majestueux débris de la Noblesse et du Clergé , quoique de moeurs différentes , se reconnaissaient à leurs traits généraux .
D' ailleurs le chevalier était aussi onctueux avec l' abbé de Sponde qu' il était paternel avec ses grisettes .
Quelques personnes pourraient croire que Mlle Cormon cherchait tous les moyens d' arriver à son but ; que , parmi les légitimes artifices permis aux femmes , elle s' adressait à la toilette , qu' elle se décolletait , qu' elle déployait les coquetteries négatives d' un magnifique port d' armes .
Mais point ! Elle était héroïque et immobile dans ses guimpes comme un soldat dans sa guérite . Ses robes , ses chapeaux , ses chiffons , tout se confectionnait chez des marchandes de modes d' Alençon , deux soeurs bossues qui ne manquaient pas de goût .
Malgré les instances de ces deux artistes , Mlle Cormon se refusait aux tromperies de l' élégance ; elle voulait être cossue en tout , chair et plumes ; mais peut - être les lourdes façons de ses robes allaient - elles bien à sa physionomie .
Se moque qui voudra de la pauvre fille ! vous la trouverez sublime , âmes généreuses qui ne vous inquiétez jamais de la forme que prend le sentiment , et l' admirez là où il est ! Ici quelques femmes légères essaieront peut - être de chicaner la vraisemblance de ce récit , elles diront qu' il n' existe pas en France de fille assez niaise pour ignorer l' art de pêcher un homme , que Mlle Cormon est une de ces exceptions monstrueuses que le bon sens interdit de présenter comme type ; que la plus vertueuse et la plus niaise fille qui veut attraper un goujon trouve encore un appât pour armer sa ligne .
Mais ces critiques tombent , si l' on vient à penser que la sublime religion catholique , apostolique et romaine est encore debout en Bretagne et dans l' ancien duché d' Alençon .
La foi , la piété , n' admettent pas ces subtilités .
Mlle Cormon marchait dans la voie du salut , en préférant les malheurs de sa virginité infiniment trop prolongée au malheur d' un mensonge , au péché d' une ruse .
Chez une fille armée de la discipline , la vertu ne pouvait transiger ; aussi l' amour ou le calcul devaient - ils venir la trouver très résolument .

LA VIEILLE FILLE (IV, provinc)
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