----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Sous ce règne , les héritières furent dans un nombre très disproportionné avec celui des garçons à marier . Quand le Consulat ramena l' ordre intérieur , les difficultés extérieures rendirent le mariage de Mlle Cormon tout aussi difficile à conclure que par le passé . Si , d' une part , Rose - Marie - Victoire se refusait à épouser un vieillard , de l' autre , la crainte du ridicule et les circonstances lui interdisaient d' épouser un très jeune homme : or , les familles mariaient de fort bonne heure leurs enfants afin de les soustraire aux envahissements de la conscription .
Enfin , par entêtement de propriétaire , elle n' aurait pas non plus épousé un soldat ; car elle ne prenait pas un homme pour le rendre à l' Empereur , elle voulait le garder pour elle seule .
De 1804 à 1815 , il lui fut donc impossible de lutter avec les jeunes filles qui se disputaient les partis convenables , raréfiés par le canon .
Outre sa prédilection pour la noblesse , Mlle Cormon eut la manie très excusable de vouloir être aimée pour elle .
Vous ne sauriez croire jusqu' où l' avait menée ce désir . Elle avait employé son esprit à tendre mille pièges à ses adorateurs afin d' éprouver leurs sentiments . Ses chausse - trapes furent si bien tendues que les infortunés s' y prirent tous , et succombèrent dans les épreuves baroques qu' elle leur imposait à leur insu .
Mlle Cormon ne les étudiait pas , elle les espionnait . Un mot dit à la légère , une plaisanterie que souvent elle comprenait mal , suffisait pour lui faire rejeter ces postulants comme indignes : celui - ci n' avait ni coeur ni délicatesse , celui - là mentait et n' était pas chrétien , l' un voulait raser ses futaies et battre monnaie sous le poêle du mariage , l' autre n' était pas de caractère à la rendre heureuse ; là , elle devinait quelque goutte héréditaire ; ici , des antécédents immoraux l' effrayaient ; comme l' Église , elle exigeait un beau prêtre pour ses autels ; puis , elle voulait être épousée pour sa fausse laideur et ses prétendus défauts , comme les autres femmes veulent l' être pour les qualités qu' elles n' ont pas et pour d' hypothétiques beautés .
L' ambition de Mlle Cormon prenait sa source dans les sentiments les plus délicats de la femme ; elle comptait régaler son amant en lui démasquant mille vertus après le mariage , comme d' autres femmes découvrent les mille imperfections qu' elles ont soigneusement voilées ; mais elle fut mal comprise : la noble fille ne rencontra que des âmes vulgaires où régnait le calcul des intérêts positifs , et qui n' entendaient rien aux beaux calculs du sentiment .

LA VIEILLE FILLE (IV, provinc)
Page: 855