----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Tous les gouvernements qui se succédèrent , même celui des Cent - Jours , se refusèrent à le nommer maire d' Alençon , place qu' il ambitionnait et qui , s' il l' avait obtenue , aurait fait conclure son mariage avec une vieille fille sur laquelle il avait fini par porter ses vues . Son aversion du gouvernement impérial l' avait d' abord jeté dans le parti royaliste où il resta malgré les injures qu' il y recevait ; mais quand , à la première rentrée des Bourbons , son exclusion fut maintenue à la Préfecture , ce dernier refus lui inspira contre les Bourbons une haine aussi profonde que secrète , car il demeura patemment fidèle à ses opinions .
Il devint le chef du parti libéral d' Alençon , le directeur invisible des élections , et fit un mal prodigieux à la Restauration par l' habileté de ses manoeuvres sourdes et par la perfidie de ses menées .
Du Bousquier , comme tous ceux qui ne peuvent plus vivre que par la tête , portait dans ses sentiments haineux la tranquillité d' un ruisseau faible en apparence , mais intarissable .
Sa haine était comme celle du nègre , si paisible , si patiente , qu' elle trompait l' ennemi .
Sa vengeance , couvée pendant quinze années , ne fut rassasiée par aucune victoire , pas même par le triomphe des journées de Juillet 1830 .
Ce n' était pas sans intention que le chevalier de Valois envoyait Suzanne chez du Bousquier . Le Libéral et le Royaliste s' étaient mutuellement devinés malgré la savante dissimulation avec laquelle ils cachaient leur commune espérance à toute la ville .
Ces deux vieux garçons étaient rivaux . Chacun d' eux avait formé le plan d' épouser cette demoiselle Cormon de qui M . de Valois venait de parler à Suzanne .
Tous deux blottis dans leur idée , caparaçonnés d' indifférence , attendaient le moment où quelque hasard leur livrerait cette vieille fille . Ainsi , quand même ces deux célibataires n' auraient pas été séparés par toute la distance que mettaient entre eux les systèmes desquels ils offraient une vivante expression , leur rivalité en eût encore fait deux ennemis .
Les époques déteignent sur les hommes qui les traversent .
Ces deux personnages prouvaient la vérité de cet axiome par l' opposition des teintes historiques empreintes dans leurs physionomies , dans leurs discours , dans leurs idées et leurs costumes .
L' un , abrupt , énergique , à manières larges et saccadées , à parole brève et rude , noir de ton , de chevelure , de regard , terrible en apparence , impuissant en réalité comme une insurrection , représentait bien la République .

LA VIEILLE FILLE (IV, provinc)
Page: 830