----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

La liquidation de ses créances sur l' État lui permettait de garder quelques espérances ; mais , malgré ses présents corrupteurs , il rencontra la haine de Napoléon contre les fournisseurs qui avaient joué sur sa défaite . M . Defermon , si plaisamment nommé Fermons la caisse , laissa du Bousquier sans un sou . L' immoralité de la vie privée , les liaisons de ce fournisseur avec Barras et Bernadotte déplurent au Premier Consul encore plus que les manoeuvres à la Bourse ; il le raya de la liste des receveurs généraux où , par un reste de crédit , il s' était fait porter pour Alençon .
De son opulence , du Bousquier conserva douze cents francs de rente viagère inscrite au Grand - Livre , un pur placement de caprice qui le sauva de la misère .
Ignorant le résultat de la liquidation , ses créanciers ne lui laissèrent que mille francs de rente consolidés ; mais ils furent tous payés par les recouvrements et par la vente de l' hôtel de Beauséant que possédait du Bousquier .
Ainsi le spéculateur , après avoir frisé la faillite , garda son nom tout entier .
Un homme ruiné par le Premier Consul , et précédé par la réputation colossale que lui avaient faite ses relations avec les chefs des gouvernements passés , son train de vie , son règne passager intéressa la ville d' Alençon où dominait secrètement le royalisme .
Du Bousquier furieux contre Bonaparte , racontant les misères du Premier Consul , les débordements de Joséphine et les anecdotes secrètes de dix ans de révolution , fut très bien accueilli .
Vers ce temps , quoiqu' il fût bien et dûment quadragénaire , du Bousquier se produisit comme un garçon de trente - six ans , de moyenne taille , gras comme un fournisseur , faisant parade de ses mollets de procureur égrillard , à physionomie fortement marquée , ayant le nez aplati mais à naseaux garnis de poils , des yeux noirs à sourcils fournis et d' où sortait un regard fin comme celui de M .
de Talleyrand , mais un peu éteint ; il conservait les nageoires républicaines , et portait fort longs ses cheveux bruns .
Ses mains , enrichies de petits bouquets de poils à chaque phalange , offraient la preuve d' une riche musculature par de grosses veines bleues , saillantes .
Enfin , il avait le poitrail de l' Hercule Farnèse , et des épaules à soutenir la rente .
On ne voit aujourd' hui de ces sortes d' épaules qu' à Tortoni . Ce luxe de vie masculine était admirablement peint par un mot en usage pendant le dernier siècle , et qui se comprend à peine aujourd' hui : dans le style galant de l' autre époque , du Bousquier eût passé pour un vrai payeur d' arrérages .

LA VIEILLE FILLE (IV, provinc)
Page: 828