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De son côté , Luigi chercha très activement de l' occupation ; mais il était fort difficile à un jeune officier , dont tous les talents se bornaient à bien connaître la stratégie , de trouver de l' emploi à Paris . Enfin , un jour que , lassé de ses vains efforts , il avait le désespoir dans l' âme en voyant que le fardeau de leur existence tombait tout entier sur Ginevra , il songea à tirer parti de son écriture , qui était fort belle .
Avec une constance dont l' exemple lui était donné par sa femme , il alla solliciter les avoués , les notaires , les avocats de Paris .
La franchise de ses manières , sa situation intéressèrent vivement en sa faveur , et il obtint assez d' expéditions pour être obligé de se faire aider par des jeunes gens .
Insensiblement il entreprit les écritures en grand . Le produit de ce bureau , le prix des tableaux de Ginevra finirent par mettre le jeune ménage dans une aisance qui le rendit fier , car elle provenait de son industrie .
Ce fut pour eux le plus beau moment de leur vie . Les journées s' écoulaient rapidement entre les occupations et les joies de l' amour .
Le soir , après avoir bien travaillé , ils se retrouvaient avec bonheur dans la cellule de Ginevra . La musique les consolait de leurs fatigues . Jamais une expression de mélancolie ne vint obscurcir les traits de la jeune femme , et jamais elle ne se permit une plainte .
Elle savait toujours apparaître à son Luigi le sourire sur les lèvres et les yeux rayonnants . Tous deux caressaient une pensée dominante qui leur eût fait trouver du plaisir aux travaux les plus rudes : Ginevra se disait qu' elle travaillait pour Luigi , et Luigi pour Ginevra .
Parfois , en l' absence de son mari , la jeune femme songeait au bonheur parfait qu' elle aurait eu si cette vie d' amour s' était écoulée en présence de son père et de sa mère , elle tombait alors dans une mélancolie profonde en éprouvant la puissance des remords ; de sombres tableaux passaient comme des ombres dans son imagination : elle voyait son vieux père seul ou sa mère pleurant le soir et dérobant ses larmes à l' inflexible Piombo ; ces deux têtes blanches et graves se dressaient soudain devant elle , il lui semblait qu' elle ne devait plus les contempler qu' à la lueur fantastique du souvenir .
Cette idée la poursuivait comme un pressentiment .
Elle célébra l' anniversaire de son mariage en donnant à son mari un portrait qu' il avait souvent désiré , celui de sa Ginevra .

LA VENDETTA (I, privé)
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