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Nulle pensée douce ne venait plus comme autrefois égayer les traits sévères de Bartholoméo quand il contemplait sa Ginevra . La jeune fille avait quelque chose de farouche en regardant son père , et le reproche siégeait sur son front d' innocence ; elle se livrait bien à d' heureuses pensées , mais parfois des remords semblaient ternir ses yeux . Il n' était même pas difficile de deviner qu' elle ne pourrait jamais jouir tranquillement d' une félicité qui faisait le malheur de ses parents .
Chez Bartholoméo comme chez sa fille , toutes les irrésolutions causées par la bonté native de leurs âmes devaient néanmoins échouer devant leur fierté , devant la rancune particulière aux Corses .
Ils s' encourageaient l' un et l' autre dans leur colère et fermaient les yeux sur l' avenir .
Peut - être aussi se flattaient - ils mutuellement que l' un céderait à l' autre .
Le jour de la naissance de Ginevra , sa mère , désespérée de cette désunion qui prenait un caractère grave , médita de réconcilier le père et la fille , grâce aux souvenirs de cet anniversaire . Ils étaient réunis tous trois dans la chambre de Bartholoméo .
Ginevra devina l' intention de sa mère à l' hésitation peinte sur son visage et sourit tristement . En ce moment un domestique annonça deux notaires accompagnés de plusieurs témoins qui entrèrent .
Bartholoméo regarda fixement ces hommes , dont les figures froidement compassées avaient quelque chose de blessant pour des âmes aussi passionnées que l' étaient celles des trois principaux acteurs de cette scène .
Le vieillard se tourna vers sa fille d' un air inquiet , il vit sur son visage un sourire de triomphe qui lui fit soupçonner quelque catastrophe ; mais il affecta de garder , à la manière des sauvages , une immobilité mensongère en regardant les deux notaires avec une sorte de curiosité calme .
Les étrangers s' assirent après y avoir été invités par un geste du vieillard .
" Monsieur est sans doute monsieur le baron de Piombo " , demanda le plus âgé des notaires .
Bartholoméo s' inclina . Le notaire fit un léger mouvement de tête , regarda la jeune fille avec la sournoise expression d' un garde du commerce qui surprend un débiteur ; et il tira sa tabatière , l' ouvrit , y prit une pincée de tabac , se mit à la humer à petits coups en cherchant les premières phrases de son discours ; puis en les prononçant , il fit des repos continuels ( manoeuvre oratoire que ce signe - représentera très imparfaitement ) .

LA VENDETTA (I, privé)
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