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Il y avait quelque chose de touchant et qui allait à l' âme dans l' attention avec laquelle Servin enlevait la charpie et tâtait les chairs meurtries ; tandis que la figure du blessé , quoique pâle et maladive , exprimait , à l' aspect de la jeune fille , plus de plaisir que de souffrance .
Une artiste devait admirer involontairement cette opposition de sentiments , et les contrastes que produisaient la blancheur des linges , la nudité du bras , avec l' uniforme bleu et rouge de l' officier .
En ce moment , une obscurité douce enveloppait l' atelier ; mais un dernier rayon de soleil vint éclairer la place où se trouvait le proscrit , en sorte que sa noble et blanche figure , ses cheveux noirs , ses vêtements , tout fut inondé par le jour .
Cet effet si simple , la superstitieuse Italienne le prit pour un heureux présage .
L' inconnu ressemblait ainsi à un céleste messager qui lui faisait entendre le langage de la patrie , et la mettait sous le charme des souvenirs de son enfance , pendant que dans son coeur naissait un sentiment aussi frais , aussi pur que son premier âge d' innocence .
Pendant un moment bien court , elle demeura songeuse et comme plongée dans une pensée infinie ; puis elle rougit de laisser voir sa préoccupation , échangea un doux et rapide regard avec le proscrit , et s' enfuit en le voyant toujours .
Le lendemain n' était pas un jour de leçon , Ginevra vint à l' atelier et le prisonnier put rester auprès de sa compatriote ; Servin , qui avait une esquisse à terminer , permit au reclus d' y demeurer en servant de mentor aux deux jeunes gens qui s' entretinrent souvent en corse .
Le pauvre soldat raconta ses souffrances pendant la déroute de Moscou , car il s' était trouvé , à l' âge de dix - neuf ans , au passage de la Bérézina , seul de son régiment , après avoir perdu dans ses camarades les seuls hommes qui pussent s' intéresser à un orphelin .
Il peignit en traits de feu le grand désastre de Waterloo . Sa voix fut une musique pour l' Italienne .
Élevée à la corse , Ginevra était en quelque sorte la fille de la nature , elle ignorait le mensonge et se livrait sans détour à ses impressions , elle les avouait , ou plutôt les laissait deviner sans le manège de la petite et calculatrice coquetterie des jeunes filles de Paris .

LA VENDETTA (I, privé)
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