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Le lendemain la vieille Bougival alla chez Savinien et dit en lui tendant une lettre : " Je ne sais pas ce que vous écrit la chère enfant ; mais elle est ce matin comme une morte . "
Qui par cette lettre écrite à Savinien n' imaginerait pas les souffrances qui avaient assailli Ursule pendant la nuit ?
" Mon cher Savinien , votre mère veut vous marier à Mlle du Rouvre , m' a - t - on dit , et peut - être a - t - elle raison . Vous vous trouvez entre une vie presque misérable et une vie opulente , entre la fiancée de votre coeur et une femme selon le monde , entre obéir à votre mère et à votre choix , car je crois encore que vous m' avez choisie .
Savinien , si vous avez une détermination à prendre , je veux qu' elle soit prise en toute liberté : je vous rends la parole que vous vous étiez donnée à vous - même et non à moi dans un moment qui ne s' effacera jamais de ma mémoire , et qui fut , comme tous les jours qui se sont succédé depuis , d' une pureté , d' une douceur angéliques .
Ce souvenir suffit à toute ma vie .
Si vous persistiez dans votre serment , désormais une noire et terrible idée troublerait mes félicités . Au milieu de nos privations , acceptées si gaiement aujourd' hui , vous pourriez penser plus tard que , si vous eussiez observé les lois du monde , il en eût été bien autrement pour vous .
Si vous étiez homme à exprimer cette pensée , elle serait pour moi l' arrêt d' une mort douloureuse et , si vous ne la disiez pas je soupçonnerais les moindres nuages qui couvriraient votre front .
Cher Savinien , je vous ai toujours préféré à tout sur cette terre .
Je le pouvais , puisque mon parrain , quoique jaloux , me disait : " Aime - le , ma fille ! vous serez bien certainement l' un à l' autre un jour . " Quand je suis allée à Paris , je vous aimais sans espoir , et ce sentiment me contentait .
Je ne sais si je puis y revenir , mais je le tenterai . Que sommes - nous d' ailleurs en ce moment ? un frère et une soeur . Restons ainsi .
Épousez cette heureuse fille , qui aura la joie de rendre à votre nom le lustre qu' il doit avoir , et que , selon votre mère , je diminuerais . Vous n' entendrez jamais parler de moi . Le monde vous approuvera .
Moi , je ne vous blâmerai jamais , et je vous aimerai toujours . Adieu donc . "
" Attendez ! " s' écria le gentilhomme .

URSULE MIROUET (III, provinc)
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