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" Prenez garde , mon cher , lui dit de Marsay , vous avez un beau nom , et si vous n' acquérez pas la fortune qu' exige votre nom , vous pourrez aller finir vos jours sous un habit de maréchal des logis dans un régiment de cavalerie .
Nous avons vu tomber de plus illustres têtes ! ajouta - t - il en déclamant ce vers de Corneille et prenant le bras de Savinien . Il nous est venu , reprit - il , voici bientôt six ans , un jeune comte d' Esgrignon qui n' a pas vécu plus de deux ans dans le paradis du grand monde .
Hélas ! il a vécu ce que vivent les fusées . Il s' est élevé jusqu' à la duchesse de Maufrigneuse , et il est retombé dans sa ville natale , où il expie ses fautes entre un vieux père à catarrhes et une partie de whist à deux sous la fiche .
Dites votre situation à Mme de Sérizy tout naïvement , sans honte , elle vous sera très utile ; tandis que si vous jouez avec elle la charade du premier amour , elle se posera en madone de Raphaël , jouera aux jeux innocents , et vous fera voyager à grands frais dans le pays de Tendre !
Savinien , trop jeune encore , tout au pur honneur du gentilhomme , n' osa pas avouer sa position de fortune à Mme de Sérizy . Mme de Portenduère , dans un moment où son fils ne savait où donner de la tête , envoya vingt mille francs , tout ce qu' elle possédait , sur une lettre où Savinien , instruit par ses amis dans la basilique des ruses dirigées par les enfants contre les coffres - forts paternels , parlait de billets à payer et du déshonneur de laisser protester sa signature .
Il atteignit , avec ce secours , à la fin de la première année .
Pendant la seconde , attaché au char de Mme de Sérizy sérieusement éprise de lui , et qui d' ailleurs le formait , il usa de la dangereuse ressource des usuriers .
Un député de ses amis , un ami de son cousin de Portenduère , Des Lupeaulx , l' adressa , dans un jour de détresse , à Gobseck , à Gigonnet et à Palma qui , bien et dûment informés de la valeur des biens de sa mère , lui rendirent l' escompte doux et facile .
L' usure et le trompeur secours des renouvellements lui firent mener une vie heureuse pendant environ dix - huit mois .
Sans oser quitter Mme de Sérizy , le pauvre enfant devint amoureux fou de la belle comtesse de Kergarouët , prude comme toutes les jeunes personnes qui attendent la mort d' un vieux mari , et qui font l' habile report de leur vertu sur un second mariage .

URSULE MIROUET (III, provinc)
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