----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Il a peigné ses moustaches noires , sa virgule sous le menton , et j' ai vu son cou blanc , rond ... Faut - il vous dire tout ? ... je me suis aperçue que ce cou si frais , ce visage et ces beaux cheveux noirs étaient bien différents des vôtres , quand je vous regardais vous faisant la barbe .
Il m' a monté , je ne sais d' où , comme une vapeur par vagues au coeur , dans le gosier , à la tête , et si violemment que je me suis assise . Je ne pouvais me tenir debout , je tremblais . Mais j' avais tant envie de le revoir , que je me suis mise sur la pointe des pieds , il m' a vue alors , et m' a , pour plaisanter , envoyé du bout des doigts un baiser , et ...
- Et ? ...
- Et , reprit - elle , je me suis cachée , aussi honteuse qu' heureuse , sans m' expliquer pourquoi j' avais honte de ce bonheur . Ce mouvement qui m' éblouissait l' âme en y amenant je ne sais quelle puissance , s' est renouvelé toutes les fois qu' en moi - même je revoyais cette jeune figure .
Enfin je me plaisais à retrouver cette émotion , quelque violente qu' elle fût . En allant à la messe , une force invincible m' a poussée à regarder M .
Savinien donnant le bras à sa mère : sa démarche , ses vêtements , tout jusqu' au bruit de ses bottes sur le pavé me paraissait joli . La moindre chose de lui , sa main si finement gantée , exerçait sur moi comme un charme .
Cependant j' ai eu la force de ne pas penser à lui pendant la messe . à la sortie , je suis restée dans l' église de manière à laisser partir Mme de Portenduère la première et à marcher ainsi après lui .
Je ne saurais vous exprimer combien ces petits arrangements m' intéressaient . En rentrant , quand je me suis retournée pour fermer la grille ...
- Et la Bougival ? ... dit le docteur .
- Oh ! je l' avais laissée aller à sa cuisine , dit naïvement Ursule . J' ai donc pu voir naturellement M . Savinien planté sur ses jambes et me contemplant . Oh ! parrain , je me suis sentie si fière en croyant remarquer dans ses yeux une sorte de surprise et d' admiration , que je ne sais pas ce que j' aurais fait pour lui fournir l' occasion de me regarder .
Il m' a semblé que je ne devais plus désormais m' occuper que de lui plaire .
Son regard est maintenant la plus douce récompense de mes bonnes actions . Depuis ce moment , je songe à lui sans cesse et malgré moi . M . Savinien est reparti le soir , je ne l' ai plus revu , la rue des Bourgeois m' a paru vide , et il a comme emporté mon coeur avec lui sans le savoir .

URSULE MIROUET (III, provinc)
Page: 856