----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Pendant deux ans il assista , comme fit jadis Caton pour Pompée , aux plus minutieux détails de la vie d' Ursule ; il ne voulait pas que la nourrice lui donnât à téter , la levât , la couchât sans lui . Son expérience , sa science , tout fut au service de cet enfant . Après avoir ressenti les douleurs , les alternatives de crainte et d' espérance , les travaux et les joies d' une mère , il eut le bonheur de voir dans cette fille de la blonde Allemagne et de l' artiste français une vigoureuse vie , une sensibilité profonde .
L' heureux vieillard suivit avec les sentiments d' une mère les progrès de cette chevelure blonde , d' abord duvet , puis soie , puis cheveux légers et fins , si caressants aux doigts qui les caressent .
Il baisa souvent ces petits pieds nus dont les doigts couverts d' une pellicule sous laquelle le sang se voit ressemblent à des boutons de rose .
Il était fou de cette petite . Quand elle s' essayait au langage ou quand elle arrêtait ses beaux yeux bleus , si doux , sur toutes choses en y jetant ce regard songeur qui semble être l' aurore de la pensée et qu' elle terminait par un rire , il restait devant elle pendant des heures entières , cherchant avec Jordy les raisons , que tant d' autres appellent des caprices , cachées sous les moindres phénomènes de cette délicieuse phase de la vie où l' enfant est à la fois une fleur et un fruit , une intelligence confuse , un mouvement perpétuel , un désir violent .
La beauté d' Ursule , sa douceur la rendaient si chère au docteur qu' il aurait voulu changer pour elle les lois de la nature : il dit quelquefois au vieux Jordy avoir mal dans ses dents quand Ursule faisait les siennes .
Lorsque les vieillards aiment les enfants , ils ne mettent pas de bornes à leur passion , ils les adorent .
Pour ces petits êtres , ils font taire leurs manies , et pour eux se souviennent de tout leur passé .
Leur expérience , leur indulgence leur patience , toutes les acquisitions de la vie , ce trésor si péniblement amassé , ils le livrent à cette jeune vie par laquelle ils se rajeunissent , et suppléent alors à la maternité par l' intelligence .
Leur sagesse , toujours éveillée , vaut l' intuition de la mère ; ils se rappellent les délicatesses qui chez elle sont de la divination , et ils les portent dans l' exercice d' une compassion dont la force se développe sans doute en raison de cette immense faiblesse .
La lenteur de leurs mouvements remplace la douceur maternelle .

URSULE MIROUET (III, provinc)
Page: 814