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à une assez grande distance du docteur et d' Ursule , Mme de Portenduère se traînait en paraissant accablée de douleurs . Elle appartenait à ce genre de vieilles femmes dans le costume desquelles se retrouve l' esprit du dernier siècle , qui portent des robes couleur pensée , à manches plates et d' une coupe dont le modèle ne se voit que dans les portraits de Mme Lebrun ; elles ont des mantelets en dentelles noires , et des chapeaux de formes passées en harmonie avec leur démarche lente et solennelle , on dirait qu' elles marchent toujours avec leurs paniers , et qu' elles les sentent encore autour d' elles , comme ceux à qui l' on a coupé un bras agitent parfois la main qu' ils n' ont plus ; leurs figures longues , blêmes , à grands yeux meurtris , au front fané , ne manquent pas d' une certaine grâce triste , malgré des tours de cheveux dont les boucles restent aplaties ; elles s' enveloppent le visage de vieilles dentelles qui ne veulent plus badiner le long des joues ; mais toutes ces ruines sont dominées par une incroyable dignité dans les manières et dans le regard . Les yeux ridés et rouges de cette vieille dame disaient assez qu' elle avait pleuré pendant la messe . Elle allait comme une personne troublée , et semblait attendre quelqu' un , car elle se retourna .
Or Mme de Portenduère se retournant était un fait aussi grave que celui de la conversion du docteur Minoret .
" à qui Mme de Portenduère en veut - elle ? dit Mme Massin en rejoignant les héritiers pétrifiés par les réponses du vieillard .
- Elle cherche le curé , dit le notaire Dionis , qui se frappa le front comme un homme saisi par un souvenir ou par une idée oubliée . J' ai votre affaire à tous , et la succession est sauvée ! Allons déjeuner gaiement chez Mme Minoret . "
Chacun peut imaginer l' empressement avec lequel les héritiers suivirent le notaire à la poste . Goupil accompagna son camarade bras dessus bras dessous en lui disant à l' oreille avec un affreux sourire : " Il y a de la crevette .
- Qu' est - ce que cela me fait ! lui répondit le fils de famille en haussant les épaules , je suis amoureux fou de Florine , la plus céleste créature du monde .
- Qu' est - ce que c' est que Florine tout court ? demanda Goupil . Je t' aime trop pour te laisser dindonner par des créatures .
- Florine est la passion du fameux Nathan , et ma folie est inutile , car elle a positivement refusé de m' épouser .
- Les filles folles de leur corps sont quelquefois sages de la tête , dit Goupil .
- Si tu la voyais seulement une fois , tu ne te servirais pas de pareilles expressions , dit langoureusement Désiré .
- Si je te voyais briser ton avenir pour ce qui doit n' être au' une fantaisie , reprit Goupil avec une chaleur à laquelle Bongrand eût peut - être été pris , j' irais briser cette poupée comme Varney brise Amy Robsart dans Kenilworth ! Ta femme doit être une d' Aiglemont , une Mlle du Rouvre , et te faire arriver à la députation .
Mon avenir est hypothéqué sur le tien , et je ne te laisserai pas commettre de bêtises .

URSULE MIROUET (III, provinc)
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