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Cette petite femme maigre , pâle et blonde , vêtue d' une robe d' indienne blanche à grandes fleurs couleur chocolat , coiffée d' un bonnet brodé garni de dentelle , et portant un petit châle vert sur ses plates épaules , était la maîtresse de poste qui faisait trembler les plus rudes postillons , les domestiques et les charretiers ; qui tenait la caisse , les livres , et menait la maison au doigt et à l' oeil , selon l' expression populaire des voisins .
Comme les vraies ménagères , elle n' avait aucun joyau sur elle . Elle ne donnait point , selon son expression , dans le clinquant et les colifichets ; elle s' attachait au solide , et gardait , malgré la fête , son tablier noir dans les poches duquel sonnait un trousseau de clefs .
Sa voix glapissante déchirait le tympan des oreilles .
En dépit du bleu tendre de ses yeux , son regard rigide offrait une visible harmonie avec les lèvres minces d' une bouche serrée , avec un front haut , bombé , très impérieux .
Vif était le coup d' oeil , plus vifs étaient le geste et la parole . Zélie , obligée d' avoir de la volonté pour deux , en avait toujours eu pour trois , disait Goupil , qui fit remarquer les règnes successifs de trois jeunes postillons à tenue soignée établis par Zélie , chacun après sept ans de service .
Aussi , le malicieux clerc les nommait : Postillon Ier , Postillon II et Postillon III .
Mais le peu d' influence de ces jeunes gens dans la maison et leur parfaite obéissance prouvaient que Zélie s' était purement et simplement intéressée à de bons sujets .
" Eh bien , Zélie aime le zèle " , répondait le clerc à ceux qui lui faisaient ces observations .
Cette médisance était peu vraisemblable . Depuis la naissance de son fils nourri par elle sans qu' on pût apercevoir par où , la maîtresse de poste ne pensa qu' à grossir sa fortune , et s' adonna sans trêve à la direction de son immense établissement .
Dérober une botte de paille ou quelques boisseaux d' avoine , surprendre Zélie dans les comptes les plus compliqués était la chose impossible , quoiqu' elle écrivît comme un chat et ne connût que l' addition et la soustraction pour toute arithmétique .
Elle ne se promenait que pour aller toiser ses foins , ses regains et ses avoines ; puis elle envoyait son homme à la récolte et ses postillons au bottelage en leur disant , à cent livres près , la quantité que tel ou tel pré devait donner .

URSULE MIROUET (III, provinc)
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