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Cette petite société se fit une oasis dans le salon de Minoret . Le médecin de Nemours , qui ne manquait ni d' instruction ni de savoir - vivre , et qui honorait en Minoret une des illustrations de la médecine , y eut ses entrées ; mais ses occupations , ses fatigues , qui l' obligeaient à se coucher tôt pour se lever de bonne heure , l' empêchèrent d' être aussi assidu que le furent les trois amis du docteur . La réunion de ces cinq personnes supérieures , les seules qui dans Nemours eussent des connaissances assez universelles pour se comprendre , explique la répulsion du vieux Minoret pour ses héritiers : s' il devait leur laisser sa fortune , il ne pouvait guère les admettre dans sa société .
Soit que le maître de poste , le greffier et le percepteur eussent compris cette nuance , soit qu' ils fussent rassurés par la loyauté , par les bienfaits de leur oncle , ils cessèrent , à son grand contentement , de le voir .
Ainsi les quatre vieux joueurs de whist et de trictrac , sept ou huit mois après l' installation du docteur à Nemours , formèrent une société compacte , exclusive , et qui fut pour chacun d' eux comme une fraternité d' arrière - saison , inespérée , et dont les douceurs n' en furent que mieux savourées .
Cette famille d' esprits choisis eut dans Ursule une enfant adoptée par chacun d' eux selon ses goûts : le curé pensait à l' âme , le juge de paix se faisait le curateur , le militaire se promettait de devenir le précepteur ; et , quant à Minoret , il était à la fois le père , la mère et le médecin .
Après s' être acclimaté , le vieillard prit ses habitudes et régla sa vie comme elle se règle au fond de toutes les provinces . à cause d' Ursule il ne recevait personne le matin , il ne donnait jamais à dîner ; ses amis pouvaient arriver chez lui vers six heures du soir et y rester jusqu' à minuit .
Les premiers venus trouvaient les journaux sur la table du salon et les lisaient en attendant les autres , ou quelquefois ils allaient à la rencontre du docteur s' il était à la promenade .
Ces habitudes tranquilles ne furent pas seulement une nécessité de la vieillesse , elles furent aussi chez l' homme du monde un sage et profond calcul pour ne pas laisser troubler son bonheur par l' inquiète curiosité de ses héritiers ni par le caquetage des petites villes .
Il ne voulait rien concéder à cette changeante déesse , l' opinion publique , dont la tyrannie , un des malheurs de la France , allait s' établir et faire de notre pays une même province .
URSULE MIROUET (III, provinc)
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