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à soixante ans l' abbé Chaperon avait les cheveux entièrement blancs , tant il éprouvait vivement les malheurs d' autrui , tant aussi les événements de la Révolution avaient agi sur lui . Deux fois incarcéré pour deux refus de serment , deux fois , selon son expression , il avait dit son In manus .
Il était de moyenne taille , ni gras ni maigre . Son visage , très ridé , très creusé , sans couleur , occupait tout d' abord le regard par la tranquillité profonde des lignes et par la pureté des contours qui semblaient bordés de lumière .
Le visage d' un homme chaste a je ne sais quoi de radieux . Des yeux bruns , à prunelle vive , animaient ce visage irrégulier surmonté d' un front vaste .
Son regard exerçait un empire explicable par une douceur qui n' excluait pas la force . Les arcades de ses yeux formaient comme deux voûtes ombragées de gros sourcils grisonnants qui ne faisaient point peur .
Comme il avait perdu beaucoup de ses dents , sa bouche était déformée et ses joues rentraient ; mais cette destruction ne manquait pas de grâce , et ces rides pleines d' aménité semblaient vous sourire .
Sans être goutteux , il avait les pieds si sensibles , il marchait si difficilement qu' il gardait des souliers en veau d' Orléans par toutes les saisons . Il trouvait la mode des pantalons peu convenable pour un prêtre , et se montrait toujours vêtu de gros bas en laine noire tricotés par sa gouvernante et d' une culotte de drap .
Il ne sortait point en soutane , mais en redingote brune , et conservait le tricorne courageusement porté dans les plus mauvais jours .
Ce noble et beau vieillard , dont la figure était toujours embellie par la sérénité d' une âme sans reproche , devait avoir sur les choses et sur les hommes de cette histoire une si grande influence qu' il fallait tout d' abord remonter à la source de son autorité .
Minoret recevait trois journaux : un libéral , un ministériel , un ultra , quelques recueils périodiques et des journaux de science , dont les collections grossissaient sa bibliothèque . Les journaux , l' encyclopédiste et les livres furent un attrait pour un ancien capitaine au régiment de Royal - Suédois , nommé M .
de Jordy , gentilhomme voltairien et vieux garçon qui vivait de seize cents francs de pension et rentes viagères .

URSULE MIROUET (III, provinc)
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