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Pour pouvoir disputer , deux hommes doivent d' abord se comprendre . Quel plaisir goûte - t - on d' adresser des mots piquants à quelqu' un qui ne les sent pas ? Le médecin et ce prêtre avaient trop de bon goût , ils avaient vu trop bonne compagnie pour ne pas en pratiquer les préceptes , ils purent alors se faire cette petite guerre si nécessaire à la conversation . Ils haïssaient l' un et l' autre leurs opinions , mais ils estimaient leurs caractères . Si de semblables contrastes , si de telles sympathies ne sont pas les éléments de la vie intime , ne faudrait - il pas désespérer de la société qui , surtout en France , exige un antagonisme quelconque ? C' est du choc des caractères et non de la lutte des idées que naissent les antipathies .
L' abbé Chaperon fut donc le premier ami du docteur à Nemours .
Cet ecclésiastique , alors âgé de soixante ans , était curé de Nemours depuis le rétablissement du culte catholique . Par attachement pour son troupeau , il avait refusé le vicariat du diocèse .
Si les indifférents en matière de religion lui en savaient gré , les fidèles l' en aimaient davantage . Ainsi vénéré de ses ouailles , estimé par la population , le curé faisait le bien sans s' enquérir des opinions religieuses des malheureux .
Son presbytère , à peine garni du mobilier nécessaire aux plus stricts besoins de la vie , était froid et dénué comme le logis d' un avare .
L' avarice et la charité se trahissent par des effets semblables : la charité ne se fait - elle pas dans le ciel le trésor que se fait l' avare sur terre ? L' abbé Chaperon disputait avec sa servante sur sa dépense avec plus de rigueur que Gobseck avec la sienne , si toutefois ce fameux juif a jamais eu de servante .
Le bon prêtre vendait souvent les boucles d' argent de ses souliers et de sa culotte pour en donner le prix à des pauvres qui le surprenaient sans le sou .
En le voyant sortir de son église , les oreilles de sa culotte nouées dans les boutonnières , les dévotes de la ville allaient alors racheter les boucles du curé chez l' horloger - bijoutier de Nemours , et grondaient leur pasteur en les lui rapportant .
Il ne s' achetait jamais de linge ni d' habits , et portait ses vêtements jusqu' à ce qu' ils ne fussent plus de mise .
Son linge épais de reprises lui marquait la peau comme un cilice . Mme de Portenduère ou de bonnes âmes s' entendaient alors avec la gouvernante pour lui remplacer , pendant son sommeil , le linge ou les habits vieux par des neufs , et le curé ne s' apercevait pas toujours immédiatement de l' échange .
Il mangeait chez lui dans l' étain et avec des couverts de fer battu .
Quand il recevait ses desservants et les curés aux jours de solennité , qui sont une charge pour les curés de canton , il empruntait l' argenterie et le linge de table de son ami l' athée .

URSULE MIROUET (III, provinc)
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