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Des jambes grêles et courtes , une large face au teint brouillé comme un ciel avant l' orage et surmontée d' un front chauve , faisaient encore ressortir cette bizarre conformation . Aussi , son visage semblait - il appartenir à un bossu dont la bosse eût été en dedans . Une singularité de ce visage aigre et pâle confirmait l' existence de cette invisible gibbosité .
Courbe et tordu comme celui de beaucoup de bossus , le nez se dirigeait de droite à gauche , au lieu de partager exactement la figure . La bouche , contractée aux deux coins , comme celle des Sardes , était toujours sur le qui - vive de l' ironie .
La chevelure , rare et roussâtre , tombait par mèches plates et laissait voir le crâne par places . Les mains , grosses et mal emmanchées au bout de bras trop longs , étaient crochues et rarement propres .
Goupil portait des souliers bons à jeter au coin d' une borne , et des bas en filoselle d' un noir rougeâtre ; son pantalon et son habit noir , usés jusqu' à la corde et presque gras de crasse ; ses gilets piteux , dont quelques boutons manquaient de moules ; le vieux foulard qui lui servait de cravate , toute sa mise annonçait la cynique misère à laquelle ses passions le condamnaient .
Cet ensemble de choses sinistres était dominé par deux yeux de chèvre , une prunelle cerclée de jaune , à la fois lascifs et lâches .
Personne n' était plus craint ni plus respecté que Goupil dans Nemours .
Armé des prétentions que comportait sa laideur , il avait ce détestable esprit particulier à ceux qui se permettent tout , et l' employait à venger les mécomptes d' une jalousie permanente .
Il rimait les couplets satiriques qui se chantent au carnaval , il organisait les charivaris , il faisait à lui seul le petit journal de la ville . Dionis , homme fin et faux , par cela même assez craintif , gardait Goupil autant par peur qu' à cause de son excessive intelligence et de sa connaissance profonde des intérêts du pays .
Mais le patron se défiait tant du clerc , qu' il régissait lui - même sa caisse , ne le logeait point chez lui , le tenait à distance , et ne lui confiait aucune affaire secrète ou délicate .
Aussi le clerc flattait - il son patron en cachant le ressentiment que lui causait cette conduite , et surveillait - il Mme Dionis dans une pensée de vengeance .
Doué d' une compréhension vive , il avait le travail facile .
" Oh ! toi te voilà déjà riant de notre malheur " , répondit le maître de poste au clerc qui se frottait les mains .
URSULE MIROUET (III, provinc)
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