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Quelle force n' aurait pas la passion chez une jeune personne de ce caractère et de cette noblesse ? Les deux frères aimaient également la même femme et avec une aveugle tendresse ; qui des deux Laurence choisirait - elle ? en choisir un , n' était - ce pas tuer l' autre ? Comtesse de son chef , elle apportait à son mari un titre et de beaux privilèges , une longue illustration ; peut - être , en pensant à ces avantages , le marquis de Simeuse se sacrifierait - il pour faire épouser Laurence à son frère , qui , selon les vieilles lois , était pauvre et sans titre .
Mais le cadet voudrait - il priver son frère d' un aussi grand bonheur que celui d' avoir Laurence pour femme ? De loin , ce combat d' amour avait eu peu d' inconvénients ; et d' ailleurs , tant que les deux frères coururent des dangers , le hasard des combats pouvait trancher cette difficulté ; mais qu' allait - il advenir de leur réunion ? Quand Marie - Paul et Paul - Marie , arrivés l' un et l' autre à l' âge où les passions sévissent de toute leur force , se partageraient les regards , les expressions , les attentions , les paroles de leur cousine , ne se déclarerait - il pas entre eux une jalousie dont les suites pouvaient être horribles ? Que deviendrait la belle existence égale et simultanée des jumeaux ? à ces suppositions , jetées une à une par chacun , pendant la dernière partie de boston , Mme d' Hauteserre répondit qu' elle ne croyait pas que Laurence épouserait un de ses cousins .
La vieille dame avait éprouvé durant la soirée un de ces pressentiments inexplicables , qui sont un secret entre les mères et Dieu .
Laurence , dans son for intérieur , n' était pas moins effrayée de se voir en tête à tête avec ses cousins .
Au drame animé de la conspiration , aux dangers que coururent les deux frères , aux malheurs de leur émigration , succédait un drame auquel elle n' avait jamais songé .
Cette noble fille ne pouvait pas recourir au moyen violent de n' épouser ni l' un ni l' autre des jumeaux , elle était trop honnête femme pour se marier en gardant une passion irrésistible au fond de son coeur .
Rester fille , lasser ses deux cousins en ne se décidant pas , et prendre pour mari celui qui lui serait fidèle malgré ses caprices , fut une décision moins cherchée qu' entrevue .
En s' endormant , elle se dit que le plus sage était de se laisser aller au hasard .
Le hasard est , en amour , la providence des femmes .

TENEBREUSE AFFAIRE (VIII, politiq)
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