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En sachant ses fils menacés de mort , Mme d' Hauteserre , qui ne croyait pas la Révolution finie et qui connaissait la sommaire justice de ce temps , reprit ses sens et ses forces par la violence même de la douleur qui les lui avait fait perdre . Ramenée par une horrible curiosité , elle descendit au salon , dont l' aspect offrait alors un tableau vraiment digne du pinceau des peintres de genre .
Toujours assis à la table de jeu , le curé jouait machinalement avec les fiches , en observant à la dérobée Peyrade et Corentin qui , debout à l' un des coins de la cheminée , se parlaient à voix basse .
Plusieurs fois le fin regard de Corentin rencontra le regard non moins fin du curé ; mais , comme deux adversaires qui se trouvent également forts et qui reviennent en garde après avoir croisé le fer , l' un et l' autre jetaient promptement leurs regards ailleurs .
Le bonhomme d' Hauteserre , planté sur ses deux jambes comme un héron , restait à côté du gros , gras , grand et avare Goulard , dans l' attitude que lui avait donnée la stupéfaction .
Quoiqu' il fût vêtu en bourgeois , le maire avait toujours l' air d' un domestique .
Tous deux ils regardaient d' un oeil hébété les gendarmes entre lesquels pleurait toujours Gothard , dont les mains avaient été si vigoureusement attachées qu' elles étaient violettes et enflées . Catherine ne quittait pas sa position pleine de simplesse et de naïveté , mais impénétrable .
Le brigadier qui , selon Corentin , venait de faire la sottise d' arrêter ces petites bonnes gens , ne savait plus s' il devait partir ou rester .
Il était tout pensif au milieu du salon , la main appuyée sur la poignée de son sabre , et l' oeil sur les deux Parisiens . Les Durieu , stupéfaits , et tous les gens du château formaient un groupe admirable d' inquiétude .
Sans les pleurs convulsifs de Gothard , on eût entendu les mouches voler .
Quand la mère , épouvantée et pâle , ouvrit la porte et se montra presque traînée par Mlle Goujet , dont les yeux rouges avaient pleuré , tous ces visages se tournèrent vers les deux femmes . Les deux agents espéraient autant que tremblaient les habitants du château de voir entrer Laurence .
Le mouvement spontané des gens et des maîtres sembla produit comme par un de ces mécanismes qui font accomplir à des figures de bois un seul et unique geste ou un clignement d' yeux .

TENEBREUSE AFFAIRE (VIII, politiq)
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