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Ce défaut de proportion donnait à son buste quelque chose de difforme . Brune de teint , les cheveux noirs et durs , les sourcils très fournis , les yeux ardents et encadrés dans des orbites déjà charbonnées , la figure arquée comme un premier quartier de lune et dominée par un front proéminent , elle offrait la caricature de sa mère , l' une des plus belles femmes du Portugal . La nature se plaît à ces jeux - là . On voit souvent , dans les familles , une soeur d' une beauté surprenante et dont les traits offrent , chez le frère , une laideur achevée , quoique tous deux se ressemblent .
Clotilde avait sur sa bouche excessivement rentrée , une expression de dédain stéréotypée . Aussi ses lèvres dénonçaient - elles plus que tout autre trait de son visage les secrets mouvements de son coeur , car l' affection leur imprimait une expression charmante , et d' autant plus remarquable que ses joues trop brunes pour rougir , que ses yeux noirs toujours durs ne disaient jamais rien .
Malgré tant de désavantages , malgré sa prestance de planche , elle tenait de son éducation et de sa race un air de grandeur , une contenance fière , enfin tout ce qu' on a nommé si justement le je ne sais quoi , peut - être dû à la franchise de son costume , et qui signalait en elle une fille de bonne maison .
Elle tirait parti de ses cheveux , dont la force , le nombre et la longueur pouvaient passer pour une beauté .
Sa voix , qu' elle avait cultivée , jetait des charmes .
Elle chantait à ravir . Clotilde était bien la jeune personne dont on dit : " Elle a de beaux yeux " , ou " Elle a un charmant caractère ! " à quelqu' un qui lui disait à l' anglaise : " Votre Grâce " , elle répondit : " Appelez - moi Votre Minceur .
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" Pourquoi n' aimerait - on pas ma pauvre Clotilde ? répondit la duchesse à la marquise . Savez - vous ce qu' elle me disait hier ? " Si je suis aimée par ambition , je me charge de me faire aimer pour moi - même ! " Elle est spirituelle et ambitieuse , il y a des hommes à qui ces deux qualités plaisent .
Quant à lui , ma chère , il est beau comme un rêve ; et s' il peut racheter la terre de Rubempré , le Roi lui rendra , par égard pour nous , le titre de marquis ... Après tout , sa mère est la dernière Rubempré ...
- Pauvre garçon , où prendra - t - il un million ? dit la marquise .
- Ceci n' est pas notre affaire , reprit la duchesse ; mais , à coup sûr , il est incapable de le voler ... Et , d' ailleurs , nous ne donnerions pas Clotilde à un intrigant ni à un malhonnête homme , fût - il beau , fût - il poète et jeune comme M . de Rubempré . "

SPLEND É COURTISANES (VI, paris)
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