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Puis , en sentant la nécessité de se faire adopter par une famille si puissante , et poussé par son conseil intime à séduire Clotilde , Lucien eut le courage des parvenus : il vint là cinq jours sur les sept de la semaine , il avala gracieusement les couleuvres de l' envie , il soutint les regards impertinents , il répondit spirituellement aux railleries . Son assiduité , le charme de ses manières , sa complaisance finirent par neutraliser les scrupules et par amoindrir les obstacles . Toujours au mieux chez la duchesse de Maufrigneuse , dont les lettres brûlantes écrites pendant le cours de sa passion étaient gardées par Carlos Herrera , l' idole de Mme de Sérizy , bien vu chez Mlle des Touches , Lucien , content d' être admis dans ces trois maisons , apprit de son Espagnol à mettre la plus grande réserve dans ses relations .
" On ne peut pas se dévouer à plusieurs maisons à la fois , lui disait son conseiller intime . Qui va partout ne trouve d' intérêt vif nulle part . Les grands ne protègent que ceux qui rivalisent avec leurs meubles , ceux qu' ils voient tous les jours , et qui savent leur devenir quelque chose de nécessaire , comme le divan sur lequel on s' assied .
"
Habitué à regarder le salon des Grandlieu comme son champ de bataille , Lucien réservait son esprit , ses bons mots , les nouvelles et ses grâces de courtisan pour le temps qu' il y passait le soir . Insinuant , caressant , prévenu par Clotilde des écueils à éviter , il flattait les petites passions de M .
de Grandlieu . Après avoir commencé par envier le bonheur de la duchesse de Maufrigneuse , Clotilde devint éperdument amoureuse de Lucien .
En apercevant tous les avantages d' une pareille alliance , Lucien joua son rôle d' amoureux comme l' eût joué Armand , le dernier jeune premier de la Comédie - Française . Il écrivait à Clotilde des lettres qui , certes , étaient des chefs - d' oeuvre littéraires du premier ordre , et Clotilde y répondait en luttant de génie dans l' expression de cet amour furieux sur le papier , car elle ne pouvait aimer que de cette façon .
Lucien allait à la messe à Saint - Thomas - d' Aquin tous les dimanches , il se donnait pour fervent catholique , il se livrait à des prédications monarchiques et religieuses qui faisaient merveilles .
Il écrivait d' ailleurs dans les journaux dévoués à la Congrégation des articles excessivement remarquables , sans vouloir en recevoir aucun prix , sans y mettre d' autre signature qu' un L .
Il fit des brochures politiques , demandées ou par le roi Charles X , ou par la Grande Aumônerie , sans exiger la moindre récompense .

SPLEND É COURTISANES (VI, paris)
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