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" Elles sont comme moi , répliqua cette reine inédite , elles regrettent leurs vases obscures . " Ce mot est toute l' histoire d' Esther . Par moments , la pauvre fille était poussée à courir dans les magnifiques jardins du couvent , elle allait affairée d' arbre en arbre , elle se jetait désespérément aux coins obscurs en y cherchant , quoi ? elle ne le savait pas , mais elle succombait au démon , elle coquetait avec les arbres , elle leur disait des paroles qu' elle ne prononçait point .
Elle se coulait parfois le long des murs , le soir , comme une couleuvre , sans châle , les épaules nues . Souvent à la chapelle , durant les offices , elle restait les yeux fixés sur le crucifix , et chacun l' admirait , les larmes la gagnaient ; mais elle pleurait de rage ; au lieu des images sacrées qu' elle voulait voir , les nuits flamboyantes où elle conduisait l' orgie comme Habeneck conduit au Conservatoire une symphonie de Beethoven , ces nuits rieuses et lascives , coupées de mouvements nerveux , de rires inextinguibles , se dressaient échevelées , furieuses , brutales .
Elle était au - dehors suave comme une vierge qui ne tient à la terre que par sa forme féminine , au - dedans s' agitait une impériale Messaline .
Elle seule était dans le secret de ce combat du démon contre l' ange ; quand la supérieure la grondait d' être plus artistement coiffée que la règle ne le voulait , elle changeait sa coiffure avec une adorable et prompte obéissance , elle était prête à couper ses cheveux si sa mère le lui eût ordonné .
Cette nostalgie avait une grâce touchante dans une fille qui aimait mieux périr que de retourner aux pays impurs .
Elle pâlit , changea , maigrit .
La supérieure modéra l' enseignement , et prit cette intéressante créature auprès d' elle pour la questionner .
Esther était heureuse , elle se plaisait infiniment avec ses compagnes ; elle ne se sentait attaquée en aucune partie vitale , mais sa vitalité était essentiellement attaquée .
Elle ne regrettait rien , elle ne désirait rien . La supérieure , étonnée des réponses de sa pensionnaire , ne savait que penser en la voyant en proie à une langueur dévorante .
Le médecin fut appelé lorsque l' état de la jeune pensionnaire parut grave , mais ce médecin ignorait la vie antérieure d' Esther et ne pouvait la soupçonner : il trouva la vie partout , la souffrance n' était nulle part .
La malade répondit à renverser toutes les hypothèses . Restait une manière d' éclaircir les doutes du savant qui s' attachait à une affreuse idée : Esther refusa très obstinément de se prêter à l' examen du médecin .
La supérieure en appela , dans ce danger , à l' abbé Herrera . L' Espagnol vint , vit l' état désespéré d' Esther , et causa pendant un moment à l' écart avec le docteur .

SPLEND É COURTISANES (VI, paris)
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