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Andoche Finot était le propriétaire d' une revue où Lucien avait travaillé presque gratis , et que Blondet enrichissait par sa collaboration , par la sagesse de ses conseils et la profondeur de ses vues . Finot et Blondet personnifiaient Bertrand et Raton , à cette différence près que le chat de La Fontaine finit par s' apercevoir de sa duperie , et que , tout en se sachant dupé , Blondet servait toujours Finot . Ce brillant condottiere de plume devait , en effet être pendant longtemps esclave .
Finot cachait une volonté brutale sous des dehors lourds , sous les pavots d' une bêtise impertinente , frottée d' esprit comme le pain d' un manoeuvre est frotté d' ail .
Il savait engranger ce qu' il glanait , les idées et les écus , à travers les champs de la vie dissipée que mènent les gens de lettres et les gens d' affaires politiques .
Blondet , pour son malheur , avait mis sa force à la solde de ses vices et de sa paresse . Toujours surpris par le besoin , il appartenait au pauvre clan des gens éminents qui peuvent tout pour la fortune d' autrui sans rien pouvoir pour la leur , des Aladins qui se laissent emprunter leur lampe .
Ces admirables conseillers ont l' esprit perspicace et juste quand il n' est pas tiraillé par l' intérêt personnel .
Chez eux , c' est la tête et non le bras qui agit . De là le décousu de leurs moeurs , et de là le blâme dont les accablent les esprits inférieurs . Blondet partageait sa bourse avec le camarade qu' il avait blessé la veille ; il dînait , trinquait , couchait avec celui qu' il égorgerait le lendemain .
Ses amusants paradoxes justifiaient tout . En acceptant le monde entier comme une plaisanterie , il ne voulait pas être pris au sérieux .
Jeune , aimé , presque célèbre , heureux , il ne s' occupait pas , comme Finot , d' acquérir la fortune nécessaire à l' homme âgé . Le courage le plus difficile est peut - être celui dont avait besoin Lucien en ce moment pour couper Blondet comme il venait de couper Mme d' Espard et Châtelet .
Malheureusement , chez lui , les jouissances de la vanité gênaient l' exercice de l' orgueil , qui certes est le principe de beaucoup de grandes choses .
Sa vanité avait triomphé dans sa précédente rencontre : il s' était montré riche , heureux et dédaigneux avec deux personnes qui jadis l' avaient dédaigné pauvre et misérable ; mais un poète pouvait - il , comme un diplomate vieilli , rompre en visière à deux soi - disant amis qui l' avaient accueilli dans sa misère , chez lesquels il avait couché durant les jours de détresse ? Finot , Blondet et lui s' étaient avilis de compagnie , ils avaient roulé dans des orgies qui ne dévoraient pas que l' argent de leurs créanciers .

SPLEND É COURTISANES (VI, paris)
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