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Le jour où , pour la première fois , il vit Séraphîta , cette rencontre lui fit oublier le passé de sa vie . La jeune fille lui causa ces sensations extrêmes qu' il ne croyait plus ranimables . Les cendres laissèrent échapper une dernière flamme et se dissipèrent au premier souffle de cette voix .
Qui jamais s' est senti redevenir jeune et pur après avoir froidi dans la vieillesse et s' être sali dans l' impureté ? Tout à coup Wilfrid aima comme il n' avait jamais aimé ; il aima secrètement avec foi , avec terreur , avec d' intimes folies .
Sa vie était agitée dans la source même de la vie , à la seule idée de voir Séraphîta . En l' entendant , il allait en des mondes inconnus ; il était muet devant elle , elle le fascinait .
Là , sous les neiges , parmi les glaces , avait grandi sur sa tige cette fleur céleste à laquelle aspiraient ses voeux jusque - là trompés , et dont la vue réveillait les idées fraîches , les espérances , les sentiments qui se groupent autour de nous , pour nous enlever en des régions supérieures , comme les Anges enlèvent aux cieux les Élus dans les tableaux symboliques dictés aux peintres par quelque génie familier .
Un céleste parfum amollissait le granit de ce rocher , une lumière douée de parole lui versait les divines mélodies qui accompagnent dans sa route le voyageur pour le ciel .
Après avoir épuisé la coupe de l' amour terrestre que ses dents avaient broyée , il apercevait le vase d' élection où brillaient les ondes limpides , et qui donne soif des délices immarcescibles à qui peut y approcher des lèvres assez ardentes de foi pour n' en point faire éclater le cristal .
Il avait rencontré ce mur d' airain à franchir qu' il cherchait sur la terre .
Il allait impétueusement chez Séraphîta dans le dessein de lui exprimer la portée d' une passion sous laquelle il bondissait comme le cheval de la fable sous ce cavalier de bronze que rien n' émeut , qui reste droit , et que les efforts de l' animal fougueux rendent toujours plus pesant et plus pressant .
Il arrivait pour dire sa vie , pour peindre la grandeur de son âme par la grandeur de ses fautes , pour montrer les ruines de ses déserts ; mais quand il avait franchi l' enceinte , et qu' il se trouvait dans la zone immense embrassée par ces yeux dont le scintillant azur ne rencontrait point de bornes en avant et n' en offrait aucune en arrière , il devenait calme et soumis comme le lion qui , lancé sur sa proie dans une plaine d' Afrique , reçoit sur l' aile des vents un message d' amour , et s' arrête .

SERAPHITA (XI, philo)
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