----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Sa figure appartenait à ce type affectionné par les pinceaux de Rembrandt : c' était bien ces petits yeux vifs , enchâssés par des cercles de rides et surmontés d' épais sourcils grisonnants , ces cheveux blancs qui s' échappent en deux lames floconneuses de dessous un bonnet de velours noir , ce front large et chauve , cette coupe de visage que l' ampleur du menton rend presque carrée ; puis ce calme profond qui dénote à l' observateur une puissance quelconque , la royauté que donne l' argent , le pouvoir tribunitien du bourgmestre , la conscience de l' art , ou la force cubique de l' ignorance heureuse .
Ce beau vieillard , dont l' embonpoint annonçait une santé robuste , était enveloppé dans sa robe de chambre en drap grossier simplement orné de la lisière .
Il tenait gravement à sa bouche une longue pipe en écume de mer , et lâchait par temps égaux la fumée du tabac en en suivant d' un oeil distrait les fantasques tourbillons , occupé sans doute à s' assimiler par quelque méditation digestive les pensées de l' auteur dont les oeuvres l' occupaient .
De l' autre côté du poêle et près d' une porte qui communiquait à la cuisine , Minna se voyait indistinctement dans le brouillard produit par la fumée , à laquelle elle paraissait habituée .
Devant elle , sur une petite table , étaient les ustensiles nécessaires à une ouvrière : une pile de serviettes , des bas à raccommoder , et une lampe semblable à celle qui faisait reluire les pages blanches du livre dans lequel son père semblait absorbé .
Sa figure fraîche à laquelle des contours délicats imprimaient une grande pureté s' harmoniait avec la candeur exprimée sur son front blanc et dans ses yeux clairs .
Elle se tenait droit sur sa chaise en se penchant un peu vers la lumière pour y mieux voir , et montrait à son insu la beauté de son corsage .
Elle était déjà vêtue pour la nuit d' un peignoir en toile de coton blanche .
Un simple bonnet de percale , sans autre ornement qu' une ruche de même étoffe , enveloppait sa chevelure .
Quoique plongée dans quelque contemplation secrète , elle comptait , sans se tromper , les fils de sa serviette , ou les mailles de son bas .
Elle offrait ainsi l' image la plus complète , le type le plus vrai de la femme destinée aux oeuvres terrestres , dont le regard pourrait percer les nuées du sanctuaire , mais qu' une pensée à la fois humble et charitable maintient à hauteur d' homme .

SERAPHITA (XI, philo)
Page: 759