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" Comprends - tu par cette pensée visible la destinée de l' humanité ? d' où elle vient , où elle va ? Persiste en ta voie ! En atteignant au but de ton voyage , tu entendras sonner les clairons de la toute = puissance , retentir les cris de la victoire , et des accords dont un seul ferait trembler la terre , mais qui se perdent dans un monde sans orient et sans occident .
" Comprends - tu , pauvre cher éprouvé , que , sans les engourdissements , sans les voiles du sommeil , de tels spectacles emporteraient et déchireraient ton intelligence , comme le vent des tempêtes emporte et déchire une faible toile , et raviraient pour toujours à un homme sa raison ? comprends - tu que l' âme seule , élevée à sa toute = puissance , résiste à peine , dans le rêve , aux dévorantes communications de l' Esprit ?
" Vole encore à travers les sphères brillantes et lumineuses , admire , cours . En volant ainsi , tu te reposes , tu marches sans fatigue . Comme tous les hommes , tu voudrais être toujours ainsi plongé dans ces sphères de parfums , de lumière où tu vas , léger de tout ton corps évanoui , où tu parles par la pensée ! Cours , vole , jouis un moment des ailes que tu conquerras , quand l' amour sera si complet en toi que tu n' auras plus de sens , que tu seras tout intelligence et tout amour ! Plus haut tu montes et moins tu conçois les abîmes ! il n' existe point de précipices dans les cieux .
Vois celui qui te parle , celui qui te soutient au = dessus de ce monde où sont les abîmes .
V ois , contemple - moi encore un moment , car tu ne me verras plus qu' imparfaitement , comme tu me vois à la clarté du pâle soleil de la terre .
"
Séraphîta se dressa sur ses pieds , resta , la tête mollement inclinée , les cheveux épars , dans la pose aérienne que les sublimes peintres ont tous donnée aux Messagers d' en haut : les plis de son vêtement eurent cette grâce indéfinissable qui arrête l' artiste , l' homme qui traduit tout par le sentiment , devant les délicieuses lignes du voile de la Polymnie antique .
Puis elle étendit la main , et Wilfrid se leva .
Quand il regarda Séraphîta , la blanche jeune fille était couchée sur la peau d' ours , la tête appuyée sur sa main , le visage calme , les yeux brillants . Wilfrid la contempla silencieusement , mais une crainte respectueuse animait sa figure , et se trahissait par une contenance timide .
" Oui , chère , dit - il enfin comme s' il répondait à une question , nous sommes séparés par des mondes entiers . Je me résigne , et ne puis que vous adorer . Mais que vais - je devenir , moi pauvre seul ?

SERAPHITA (XI, philo)
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