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Que dois - je faire , mon ami ? Voulez - vous que je chante , que je danse , quand la fatigue m' ôte l' usage de la voix et des jambes ? Messieurs , fussions - nous à l' agonie , nous devons encore vous sourire ! Vous appelez cela , je crois , régner . Les pauvres femmes ! je les plains . Dites - moi , vous les abandonnez quand elles vieillissent , elles n' ont donc ni coeur ni âme ? Eh bien , j' ai plus de cent ans , Wilfrid , allez - vous - en ! allez aux pieds de Minna .
- Oh ! mon éternel amour !
- Savez - vous ce que c' est que l' éternité ? Taisez - vous , Wilfrid . Vous me désirez et vous ne m' aimez pas . Dites - moi , ne vous rappelé - je pas bien quelque femme coquette ?
- Oh ! certes , je ne reconnais plus en vous la pure et céleste jeune fille que j' ai vue pour la première fois dans l' église de Jarvis . "
à ces mots , Séraphîta se passa les mains sur le front , et quand elle se dégagea la figure , Wilfrid fut étonné de la religieuse et sainte expression qui s' y était répandue .
" Vous avez raison , mon ami . J' ai toujours tort de mettre les pieds sur votre terre .
- Oui , chère Séraphîta , soyez mon étoile , et ne quittez pas la place d' où vous répandez sur moi de si vives lumières . "
En achevant ces mots , il avança la main pour prendre celle de la jeune fille , qui la lui retira sans dédain ni colère . Wilfrid se leva brusquement , et s' alla placer près de la fenêtre , vers laquelle il se tourna pour ne pas laisser voir à Séraphîta quelques larmes qui lui roulèrent dans les yeux .
" Pourquoi pleurez - vous ? lui dit - elle . Vous n' êtes plus un enfant , Wilfrid . Allons , revenez près de moi , je le veux . Vous me boudez quand je devrais me fâcher . Vous voyez que je suis souffrante , et vous me forcez , je ne sais par quels doutes , de penser , de parler , ou de partager des caprices et des idées qui me lassent .
Si vous aviez l' intelligence de ma nature , vous m' auriez fait de la musique , vous auriez endormi mes ennuis ; mais vous m' aimez pour vous et non pour moi .
"
L' orage qui bouleversait le coeur de Wilfrid fut soudain calmé par ces paroles ; il se rapprocha lentement pour mieux contempler la séduisante créature qui gisait étendue à ses yeux , mollement couchée , la tête appuyée sur sa main et accoudée dans une pose décevante .

SERAPHITA (XI, philo)
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