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Malgré la ressemblance qu' ont entre eux ces espèces de canaux , chacun a sa physionomie particulière : partout la mer est entrée dans leurs cassures , mais partout les rochers s' y sont diversement fendus , et leurs tumultueux précipices défient les termes bizarres de la géométrie : ici le roc s' est dentelé comme une scie , là ses tables trop droites ne souffrent ni le séjour de la neige , ni les sublimes aigrettes des sapins du nord ; plus loin , les commotions du globe ont arrondi quelque sinuosité coquette , belle vallée que meublent par étages des arbres au noir plumage . Vous seriez tenté de nommer ce pays la Suisse des mers . Entre Drontheim et Christiania , se trouve une de ces baies , nommée le Stromfiord .
Si le Stromfiord n' est pas le plus beau de ces paysages , il a du moins le mérite de résumer les magnificences terrestres de la Norvège , et d' avoir servi de théâtre aux scènes d' une histoire vraiment céleste .
La forme générale du Stromfiord est , au premier aspect , celle d' un entonnoir ébréché par la mer . Le passage que les flots s' y étaient ouvert présente à l' oeil l' image d' une lutte entre l' Océan et le granit , deux créations également puissantes : l' une par son inertie , l' autre par sa mobilité .
Pour preuves , quelques écueils de formes fantastiques en défendent l' entrée aux vaisseaux . Les intrépides enfants de la Norvège peuvent , en quelques endroits , sauter d' un roc à un autre sans s' étonner d' un abîme profond de cent toises , large de six pieds .
Tantôt un frêle et chancelant morceau de gneiss , jeté en travers , unit deux rochers .
Tantôt les chasseurs ou les pêcheurs ont lancé des sapins , en guise de pont , pour joindre les deux quais taillés à pic au fond desquels gronde incessamment la mer . Ce dangereux goulet se dirige vers la droite par un mouvement de serpent , y rencontre une montagne élevée de trois cents toises au = dessus du niveau de la mer , et dont les pieds forment un banc vertical d' une demi = lieue de longueur , où l' inflexible granit ne commence à se briser , à se crevasser , à s' onduler , qu' à deux cents pieds environ au = dessus des eaux .
Entrant avec violence , la mer est donc repoussée avec une violence égale par la force d' inertie de la montagne vers les bords opposés auxquels les réactions du flot ont imprimé de douces courbures .
Le Fiord est fermé dans le fond par un bloc de gneiss couronné de forêts , d' où tombe en cascades une rivière qui à la fonte des neiges devient un fleuve , forme une nappe d' une immense étendue , s' échappe avec fracas en vomissant de vieux sapins et d' antiques mélèzes , aperçus à peine dans la chute des eaux .

SERAPHITA (XI, philo)
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