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Longueville répondait en connaisseur . Faisait - elle de la musique , le jeune homme prouvait sans fatuité qu' il était assez fort sur le piano . Un soir , il enchanta toute la compagnie , en mariant sa voix délicieuse à celle d' Émilie dans un des plus beaux duos de Cimarosa ; mais , quand on essaya de s' informer s' il était artiste , il plaisanta avec tant de grâce , qu' il ne laissa pas à ces femmes si exercées dans l' art de deviner les sentiments la possibilité de découvrir à quelle sphère sociale il appartenait . Avec quelque courage que le vieil oncle jetât le grappin sur ce bâtiment , Longueville s' esquivait avec souplesse afin de se conserver le charme du mystère ; et il lui fut d' autant plus facile de rester le bel inconnu au pavillon Planat , que la curiosité n' y excédait pas les bornes de la politesse .
Émilie , tourmentée de cette réserve , espéra tirer meilleur parti de la soeur que du frère pour ces sortes de confidences .
Secondée par son oncle , qui s' entendait aussi bien à cette manoeuvre qu' à celle d' un bâtiment , elle essaya de mettre en scène le personnage jusqu' alors muet de Mlle Clara Longueville .
La société du pavillon manifesta bientôt le plus grand désir de connaître une si aimable personne , et de lui procurer quelque distraction .
Un bal sans cérémonie fut proposé et accepté . Les femmes ne désespérèrent pas complètement de faire parler une jeune fille de seize ans .
Malgré ces petits nuages amoncelés par le soupçon et créés par la curiosité , une vive lumière pénétrait l' âme de Mlle de Fontaine , qui jouissait délicieusement de l' existence en la rapportant à un autre qu' à elle .
Elle commençait à concevoir les rapports sociaux . Soit que le bonheur nous rende meilleurs , soit qu' elle fût trop occupée pour tourmenter les autres , elle devint moins caustique , plus indulgente , plus douce .
Le changement de son caractère enchanta sa famille étonnée . Peut - être , après tout , son égoïsme se métamorphosait - il en amour . Attendre l' arrivée de son timide et secret adorateur était une joie profonde .
Sans qu' un seul mot de passion eût été prononcé entre eux , elle se savait aimée , et avec quel art ne se plaisait - elle pas à faire déployer au jeune inconnu les trésors d' une instruction qui se montra variée ! Elle s' aperçut qu' elle aussi était observée avec soin , et alors elle essaya de vaincre tous les défauts que son éducation avait laissés croître en elle .
N' était - ce pas déjà un premier hommage rendu à l' amour , et un reproche cruel qu' elle s' adressait à elle - même ? Elle voulait plaire , elle enchanta ; elle aimait , elle fut idolâtrée .
Sa famille , la sachant bien gardée par son orgueil , lui donnait assez de liberté pour qu' elle pût savourer ces petites félicités enfantines qui donnent tant de charme et de violence aux premières amours .

LE BAL DE SCEAUX (I, privé)
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