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Arrêtant aussitôt son cheval , le comte s' écria : " Ne pouviez - vous pas vous ranger ?
- Ah ! pardon , monsieur , répondit l' inconnu . J' ignorais que ce fût à moi de vous faire des excuses de ce que vous avez failli me renverser .
- Eh ! l' ami , finissons " , reprit aigrement le marin en prenant un son de voix dont le ricanement avait quelque chose d' insultant .
En même temps le comte leva sa cravache comme pour fouetter son cheval , et toucha l' épaule de son interlocuteur en disant : " Le bourgeois libéral est raisonneur , tout raisonneur doit être sage . "
Le jeune homme gravit le talus de la route en entendant ce sarcasme ; il se croisa le bras et répondit d' un ton fort ému : " Monsieur , je ne puis croire , en voyant vos cheveux blancs , que vous vous amusiez encore à chercher des duels .
- Cheveux blancs ? s' écria le marin en l' interrompant , tu en as menti par ta gorge , ils ne sont que gris . "
Une dispute ainsi commencée devint en quelques secondes si chaude , que le jeune adversaire oublia le ton de modération qu' il s' était efforcé de conserver . Au moment où le comte de Kergarouët vit sa nièce arrivant à eux avec toutes les marques d' une vive inquiétude , il donnait son nom à son antagoniste en lui disant de garder le silence devant la jeune personne confiée à ses soins .
L' inconnu ne put s' empêcher de sourire et remit une carte aux vieux marin en lui faisant observer qu' il habitait une maison de campagne à Chevreuse , et s' éloigna rapidement après la lui avoir indiquée .
" Vous avez manqué blesser ce pauvre péquin , ma nièce , dit le comte en s' empressant d' aller au - devant d' Émilie . Vous ne savez donc plus tenir votre cheval en bride . Vous me laissez la compromettre ma dignité pour couvrir vos folies ; tandis que si vous étiez restée , un seul de vos regards ou une de vos paroles polies , une de celles que vous dites si joliment quand vous n' êtes pas impertinente , aurait tout raccommodé , lui eussiez - vous cassé le bras .

LE BAL DE SCEAUX (I, privé)
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