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M . de Grandville , ce digne successeur des grands magistrats du vieux Parlement , n' avait pas voulu quitter le Palais sans une solution dans l' affaire de Lucien . Il attendait des nouvelles de Camusot , et le message du juge le plongea dans cette rêverie involontaire que l' attente cause aux esprits les plus fermes . Il était assis dans l' embrasure de la croisée de son cabinet , il se leva , se mit à marcher de long en long , car il avait trouvé le matin Camusot , sur le passage duquel il s' était mis , peu compréhensif , il avait des inquiétudes vagues , il souffrait .
Voici pourquoi . La dignité de ses fonctions lui défendait d' attenter à l' indépendance absolue du magistrat inférieur , et il s' agissait dans ce procès de l' honneur de la considération de son meilleur ami , de l' un de ses plus chauds protecteurs , le comte de Sérizy , ministre d' État , membre du conseil privé , le vice - président du Conseil d' État , le futur chancelier de France , au cas où le noble vieillard qui remplissait ces augustes fonctions viendrait à mourir .
M .
de Sérizy avait le malheur d' adorer sa femme quand même , il la couvrait toujours de sa protection .
Or , le procureur général devinait bien l' affreux tapage que ferait , dans le monde et à la cour , la culpabilité d' un homme dont le nom avait été si souvent marié malignement à celui de la comtesse .
" Ah ! se disait - il en se croisant les bras , autrefois le pouvoir royal avait la ressource des évocations ... Notre manie d' égalité tuera ce temps - ci ... "
Ce digne magistrat connaissait l' entraînement et les malheurs des attachements illicites . Esther et Lucien avaient repris , comme on l' a vu , l' appartement où le comte de Grandville avait vécu maritalement et secrètement avec Mlle de Bellefeuille et d' où elle s' était enfuie un jour , enlevée par un misérable ( voir Un double ménage , SCENES DE LA VIE PRIVÉE ) .
Au moment où le procureur général se disait : " Camusot nous aura fait quelque sottise ! " le juge d' instruction frappa deux coups à la porte du cabinet .
" Eh bien , mon cher Camusot , comment va l' affaire dont je vous parlais ce matin ?
- Mal , monsieur le comte , lisez et jugez - en vous - même ? "
Il tendit les deux procès - verbaux des interrogatoires à M . de Grandville qui prit son lorgnon et alla lire dans l' embrasure de la croisée . Ce fut une lecture rapide .

SPLEND É COURTISANES (VI, paris)
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