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Ce mariage allait décider la fortune politique de Lucien , qui probablement serait nommé ministre auprès d' une cour d' Allemagne . Depuis trois ans surtout , la vie de Lucien avait été d' une sagesse inattaquable ; aussi de Marsay avait - il dit de lui ce mot singulier : " Ce garçon doit avoir derrière lui quelqu' un de bien fort ! " Lucien était ainsi devenu presque un personnage .
Sa passion pour Esther l' avait d' ailleurs aidé beaucoup à jouer son rôle d' homme grave . Une habitude de ce genre garantit les ambitieux de bien des sottises ; en ne tenant à aucune femme , ils ne se laissent pas prendre aux réactions du physique sur le moral .
Quant au bonheur dont jouissait Lucien , c' était la réalisation des rêves de poètes sans le sou , à jeun , dans un grenier . Esther , l' idéal de la courtisane amoureuse , tout en rappelant à Lucien Coralie , l' actrice avec laquelle il avait vécu pendant une année , l' effaçait complètement .
Toutes les femmes aimantes et dévouées inventent la réclusion , l' incognito , la vie de la perle au fond de la mer ; mais , chez la plupart d' entre elles , c' est un de ces charmants caprices qui font un sujet de conversation , une preuve d' amour qu' elles rêvent de donner et qu' elles ne donnent pas ; tandis qu' Esther , toujours au lendemain de sa première félicité , vivant à toute heure sous le premier regard incendiaire de Lucien , n' eut pas , en quatre ans , un mouvement de curiosité .
Son esprit tout entier , elle l' employait à rester dans les termes du programme tracé par la main fatale de l' Espagnol .
Bien plus ! au milieu des plus enivrantes délices , elle n' abusa pas du pouvoir illimité que prêtent aux femmes aimées les désirs renaissants d' un amant pour faire à Lucien une interrogation sur Herrera , qui , d' ailleurs , l' épouvantait toujours : elle n' osait pas penser à lui .
Les savants bienfaits de ce personnage inexplicable , à qui certainement Esther devait et sa grâce de pensionnaire et ses façons de femme comme il faut , et sa régénération , semblaient à la pauvre fille être des avances de l' enfer .
" Je payerai tout cela quelque jour " , se disait - elle avec effroi ... Pendant toutes les belles nuits , elle sortait en voiture de louage .
Elle allait , avec une célérité sans doute imposée par l' abbé , dans un de ces charmants bois qui sont autour de Paris , à Boulogne , Vincennes , Romainville ou Ville - d' Avray , souvent avec Lucien , quelquefois seule avec Europe .
SPLEND É COURTISANES (VI, paris)
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