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Vigoureusement plongés au fond du golfe , ces arbres reparaissent bientôt à sa surface , s' y marient , et construisent des îlots qui viennent échouer sur la rive gauche , où les habitants du petit village assis au bord du Stromfiord les retrouvent brisés , fracassés , quelquefois entiers , mais toujours nus et sans branches . La montagne qui dans le Stromfiord reçoit à ses pieds les assauts de la mer et à sa cime ceux des vents du nord , se nomme le Falberg . Sa crête , toujours enveloppée d' un manteau de neige et de glace , est la plus aiguë de la Norvège , où le voisinage du pôle produit , à une hauteur de dix = huit cents pieds , un froid égal à celui qui règne sur les montagnes les plus élevées du globe .
La cime de ce rocher , droite vers la mer , s' abaisse graduellement vers l' est , et se joint aux chutes de la Sieg par des vallées disposées en gradins sur lesquels le froid ne laisse venir que des bruyères et des arbres souffrants .
La partie du Fiord d' où s' échappent les eaux sous les pieds de la forêt , s' appelle le Siegdalhen , mot qui pourrait être traduit par le versant de la Sieg , nom de la rivière .
La courbure qui fait face aux tables du Falberg est la vallée de Jarvis , joli paysage dominé par des collines chargées de sapins , de mélèzes , de bouleaux , de quelques chênes et de hêtres , la plus riche , la mieux colorée de toutes les tapisseries que la nature du nord a tendues sur ses âpres rochers .
L' oeil pouvait facilement y saisir la ligne où les terrains réchauffés par les rayons solaires commencent à souffrir la culture et laissent apparaître les végétations de la Flore norvégienne .
En cet endroit , le golfe est assez large pour que la mer , refoulée par le Falberg , vienne expirer en murmurant sur la dernière frange de ces collines , rive doucement bordée d' un sable fin , parsemé de mica , de paillettes , de jolis cailloux , de porphyres , de marbres aux mille nuances amenés de la Suède par les eaux de la rivière , et de débris marins , de coquillages , fleurs de la mer que poussent les tempêtes , soit du pôle , soit du midi .
Au bas des montagnes de Jarvis se trouve le village composé de deux cents maisons de bois , où vit une population perdue là , comme dans une forêt ces ruches d' abeilles qui , sans augmenter ni diminuer , végètent heureuses , en butinant leur vie au sein d' une sauvage nature .
L' existence anonyme de ce village s' explique facilement . Peu d' hommes avaient la hardiesse de s' aventurer dans les récifs pour gagner les bords de la mer et s' y livrer à la pêche que font en grand les Norvégiens sur des côtes moins dangereuses .

SERAPHITA (XI, philo)
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