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" Il quitta la place sans attendre de réponse . Quand , un quart d' heure après , la Védie entra pour desservir , elle trouva sa maîtresse pâle et en moiteur , malgré la saison . Flore éprouvait la sensation d' une femme tombée au fond d' un précipice , elle ne voyait que ténèbres dans son avenir , et sur ces ténèbres se dessinaient , comme dans un lointain profond , des choses monstrueuses , indistinctement aperçues et qui l' épouvantaient .
Elle sentait le froid humide des souterrains .
Elle avait instinctivement peur de cet homme , et néanmoins une voix lui criait qu' elle méritait de l' avoir pour maître . Elle ne pouvait rien contre sa destinée : Flore Brazier avait par décence un appartement chez le Père Rouget ; mais Mme Rouget devait appartenir à son mari , elle se voyait ainsi privée du précieux libre arbitre que conserve une servante - maîtresse .
Dans l' horrible situation où elle se trouvait , elle conçut l' espoir d' avoir un enfant ; mais , durant ces cinq dernières années , elle avait rendu Jean - Jacques le plus caduc des vieillards .
Ce mariage devait avoir pour le pauvre homme l' effet du second mariage de Louis XII .
D' ailleurs la surveillance d' un homme tel que Philippe , qui n' avait rien à faire , car il quitta sa place , rendit toute vengeance impossible .
Benjamin était un espion innocent et dévoué . La Védie tremblait devant Philippe . Flore se voyait seule et sans secours ! Enfin , elle craignait de mourir ; sans savoir comment Philippe arriverait à la tuer , elle devinait qu' une grossesse suspecte serait son arrêt de mort .
Le son de cette voix , l' éclat voilé de ce regard de joueur , les moindres mouvements de ce soldat , qui la traitait avec la brutalité la plus polie , la faisaient frissonner .
Quant à la procuration demandée par ce féroce colonel , qui pour tout Issoudun était un héros , il l' eut dès qu' il la lui fallut ; car Flore tomba sous la domination de cet homme comme la France était tombée sous celle de Napoléon .
Semblable au papillon qui s' est pris les pattes dans la cire incandescente d' une bougie , Rouget dissipa rapidement ses dernières forces .
En présence de cette agonie , le neveu restait impassible et froid comme les diplomates , en 1814 , pendant les convulsions de la France impériale .
Philippe , qui ne croyait guère en Napoléon II , écrivit alors au ministre de la Guerre la lettre suivante que Mariette fit remettre par le duc de Maufrigneuse .
LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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