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" Ah ! le lascar , se dit Max , il est de première force , je suis perdu ! " Max essaya d' un moulinet en manoeuvrant son sabre avec une dextérité de bâtoniste ; il voulait étourdir Philippe et rencontrer son sabre , afin de le désarmer ; mais il s' aperçut au premier choc que le colonel avait un poignet de fer , et flexible comme un ressort d' acier .
Maxence dut songer à autre chose , et il voulait réfléchir , le malheureux ! tandis que Philippe , dont les yeux lui jetaient des éclairs plus vifs que ceux de leurs sabres , parait toutes les attaques avec le sang - froid d' un maître garni de son plastron dans une salle .
Entre des hommes aussi forts que les deux combattants , il se passe un phénomène à peu près semblable à celui qui a lieu entre les gens du peuple au terrible combat dit de la savate . La victoire dépend d' un faux mouvement , d' une erreur de ce calcul , rapide comme l' éclair , auquel on doit se livrer instinctivement .
Pendant un temps aussi court pour les spectateurs qu' il semble long aux adversaires , la lutte consiste en une observation où s' absorbent les forces de l' âme et du corps , cachée sous des feintes dont la lenteur et l' apparente prudence semblent faire croire qu' aucun des deux antagonistes ne veut se battre .
Ce moment , suivi d' une lutte rapide et décisive , est terrible pour les connaisseurs .
à une mauvaise parade de Max , le colonel lui fit sauter le sabre des mains .
" Ramassez - le ! dit - il en suspendant le combat , je ne suis pas homme à tuer un ennemi désarmé . "
Ce fut le sublime de l' atroce . Cette grandeur annonçait tant de supériorité , qu' elle fut prise pour le plus adroit de tous les calculs par les spectateurs . En effet , quand Max se remit en garde , il avait perdu son sang - froid , et se trouva nécessairement encore sous le coup de cette garde haute qui vous menace tout en couvrant l' adversaire ; il voulut alors réparer sa honteuse défaite par une hardiesse ; il ne songea plus à se garder , prit son sabre à deux mains et fondit rageusement sur le colonel pour le blesser à mort en lui laissant prendre sa vie .
Si Philippe reçut un coup de sabre qui lui coupa le front et une partie de la figure , il fendit obliquement la tête de Max par un terrible retour du moulinet qu' il opposa pour amortir le coup d' assommoir que Max lui destinait .
Ces deux coups enragés terminèrent le combat à la neuvième minute .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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