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Il y avait un pauvre relieur , très vieux , qui croyait aux démons . Comme presque tous les artisans de province , il travaillait dans une petite boutique basse . Les Chevaliers , déguisés en diables , envahissaient sa boutique à la nuit , le mettaient dans son coffre aux rognures , et le laissaient criant à lui seul comme trois brûlés . Le pauvre homme réveillait les voisins , auxquels il racontait les apparitions de Lucifer , et les voisins ne pouvaient guère le détromper . Ce relieur faillit devenir fou .
Au milieu d' un rude hiver , les Chevaliers démolirent la cheminée du cabinet du receveur des contributions , et la lui rebâtirent en une nuit , parfaitement semblable sans faire de bruit , sans avoir laissé la moindre trace de leur travail .
Cette cheminée était intérieurement arrangée de manière à enfumer l' appartement . Le receveur fut deux mois à souffrir avant de reconnaître pourquoi sa cheminée , qui allait si bien , de laquelle il était si content , lui jouait de pareils tours , et il fut obligé de la reconstruire .
Ils mirent un jour trois bottes de paille soufrées et des papiers huilés dans la cheminée d' une vieille dévote , amie de Mme Hochon . Le matin , en allumant son feu , la pauvre femme , une femme tranquille et douce , crut avoir allumé un volcan .
Les pompiers arrivèrent , la ville entière accourut , et comme parmi les pompiers il se trouvait quelques Chevaliers de la Désoeuvrance , ils inondèrent la maison de la vieille femme à laquelle ils firent peur de la noyade après lui avoir donné la terreur du feu .
Elle fut malade de frayeur .
Quand ils voulaient faire passer à quelqu' un la nuit tout entière en armes et dans de mortelles inquiétudes , ils lui écrivaient une lettre anonyme pour le prévenir qu' il devait être volé , puis ils allaient un à un le long de ses murs ou de ses croisées , en s' appelant par des coups de sifflet .
Un de leurs plus jolis tours , dont s' amusa longtemps la ville où il se raconte encore , fut d' adresser à tous les héritiers d' une vieille dame fort avare , et qui devait laisser une belle succession , un petit mot qui leur annonçait sa mort en les invitant à être exacts pour l' heure où les scellés seraient mis .
Quatre - vingts personnes environ arrivèrent de Vatan , de Saint - Florent , de Vierzon et des environs , tous en grand deuil , mais assez joyeux , les uns avec leurs femmes , les veuves avec leurs fils , les enfants avec leurs pères , qui dans une carriole , qui dans un cabriolet d' osier , qui dans une méchante charrette .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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