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La fenêtre fut cachée par un store qui donnait un jour doux . Si la vie de cette pauvre mère se restreignait à la plus simple expression que puisse prendre à Paris la vie d' une femme , Agathe fut du moins mieux que qui que ce soit dans une situation pareille , grâce à son fils .
Pour éviter à sa mère les ennuis les plus cruels des ménages parisiens , Joseph l' emmena tous les jours dîner à une table d' hôte de la rue de Beaune où se trouvaient des femmes comme il faut , des députés , des gens titrés , et qui pour chaque personne coûtait quatre - vingt - dix francs par mois .
Chargée uniquement du déjeuner , Agathe reprit pour le fils l' habitude que jadis elle avait pour le père .
Malgré les pieux mensonges de Joseph , elle finit par savoir que son dîner coûtait environ cent francs par mois . Épouvantée par l' énormité de cette dépense , et n' imaginant pas que son fils pût gagner beaucoup d' argent à peindre des femmes nues , elle obtint , grâce à l' abbé Loraux , son confesseur , une place de sept cents francs par an dans un bureau de loterie appartenant à la comtesse de Bauvan , la veuve d' un chef de chouans .
Les bureaux de loterie , le lot des veuves protégées , faisaient assez ordinairement vivre une famille qui s' employait à la gérance .
Mais , sous la Restauration , la difficulté de récompenser , dans les limites du gouvernement constitutionnel , tous les services rendus , fit donner à des femmes titrées malheureuses , non pas un , mais deux bureaux de loterie , dont les recettes valaient de six à dix mille francs .
Dans ce cas , la veuve du général ou du noble ainsi protégée ne tenait pas ses bureaux par elle - même , elle avait des gérants intéressés .
Quand ces gérants étaient garçons , ils ne pouvaient se dispenser d' avoir avec eux un employé ; car le bureau devait rester toujours ouvert depuis le matin jusqu' à minuit , et les écritures exigées par le ministère des Finances étaient d' ailleurs considérables .
La comtesse de Bauvan , à qui l' abbé Loraux expliqua la position de la veuve Bridau , promit , au cas où son gérant s' en irait , la survivance pour Agathe ; mais en attendant , elle stipula pour la veuve six cents francs d' appointements .
Obligée d' être au bureau dès dix heures du matin , la pauvre Agathe eut à peine le temps de dîner .
Elle revenait à sept heures du soir au bureau , d' où elle ne sortait pas avant minuit .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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