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- Pauvre garçon , pauvre garçon , reprit l' artiste , je suis un peu de l' avis de Fulgence et de Bixiou : Philippe nous tire constamment aux jambes ; tantôt il se fourre dans les émeutes et il faut l' envoyer en Amérique , il coûte alors douze mille francs à notre mère ; il ne sait rien trouver dans les forêts du Nouveau Monde , et son retour coûte autant que son départ . Sous prétexte d' avoir répété deux mots de Napoléon à un général , Philippe se croit un grand militaire et obligé de faire la grimace aux Bourbons ; en attendant , il s' amuse , il voyage , il voit du pays ; moi , je ne donne pas dans la colle de ses malheurs , il n' a pas la mine d' un homme à ne pas être au mieux partout ! On trouve à mon gaillard une excellente place , il mène une vie de Sardanapale avec une fille d' Opéra , mange la grenouille d' un journal , et coûte encore douze mille francs à notre mère .
Certes , pour ce qui me regarde , je m' en bats l' oeil ; mais Philippe mettra la pauvre femme sur la paille .
Il me regarde comme rien du tout , parce que je n' ai pas été dans les Dragons de la Garde ! Et c' est peut - être moi qui ferai vivre cette bonne chère mère dans ses vieux jours , tandis que , s' il continue , ce soudard finira je ne sais comment .
Bixiou me disait : " C' est un fameux farceur , ton frère ! " Eh bien , votre petit - fils a raison : Philippe inventera quelque frasque où l' honneur de la famine sera compromis , et il faudra trouver encore des dix ou douze mille francs ! Il joue tous les soirs , il laisse tomber sur l' escalier , quand il rentre soûl comme un templier , des cartes piquées qui lui ont servi à marquer les tours de la Rouge et de la Noire .
Le père Desroches se remue pour faire rentrer Philippe dans l' armée , et moi je crois qu' il serait , ma parole d' honneur ! au désespoir de resservir .
Auriez - vous cru qu' un garçon qui a de si beaux yeux bleus , si limpides , et un air de chevalier Bayard , tournerait au Sacripant ? "
Malgré la sagesse et le sang - froid avec lesquels Philippe jouait ses masses le soir , il éprouvait de temps en temps ce que les joueurs appellent des lessives . Poussé par l' irrésistible désir d' avoir l' enjeu de sa soirée , dix francs , il faisait alors main basse dans le ménage sur l' argent de son frère , sur celui que la Descoings laissait traîner ou sur celui d' Agathe .
Une fois déjà la pauvre veuve avait eu , dans son premier sommeil , une épouvantable vision : Philippe était entré dans sa chambre , il y avait pris dans les poches de sa robe tout l' argent qui s' y trouvait .
Agathe avait feint de dormir , mais elle avait alors passé le reste de la nuit à pleurer .
Elle y voyait clair .
LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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