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Selon Joseph , son frère aimait le tabac et les liqueurs , sa vieille maman Descoings aimait les ternes , sa mère aimait Dieu , Desroches fils aimait les procès , Desroches père aimait la pêche à la ligne , tout le monde , disait - il , aimait quelque chose .
Il aimait , lui , le beau idéal en tout ; il aimait la poésie de Byron , la peinture de Géricault , la musique de Rossini , les romans de Walter Scott . " Chacun son goût , maman , s' écria - t - il . Seulement votre terne lanterne beaucoup .
- Il sortira , tu seras riche , et mon petit Bixiou aussi !
- Donnez tout à votre petit - fils , s' écriait Joseph . Au surplus , faites comme vous voudrez !
- Hé ! s' il sort , j' en aurai assez pour tout le monde . Toi , d' abord tu auras un bel atelier , tu ne te priveras pas d' aller aux Italiens pour payer tes modèles et ton marchand de couleurs . Sais - tu , mon enfant , lui dit - elle , que tu ne me fais pas jouer un beau rôle dans ce tableau - là ? "
Par économie , Joseph avait fait poser la Descoings dans son magnifique tableau d' une jeune courtisane amenée par une vieille femme chez un sénateur vénitien . Ce tableau , un des chefs - d' oeuvre de la peinture moderne , pris par Gros lui - même pour un Titien , prépara merveilleusement les jeunes artistes à reconnaître et à proclamer la supériorité de Joseph au Salon de 1823 .
" Ceux qui vous connaissent savent bien qui vous êtes , lui répondit - il gaiement , et pourquoi vous inquiéteriez - vous de ceux qui ne vous connaissent pas ? "
Depuis une dizaine d' années , la Descoings avait pris les tons mûrs d' une pomme de reinette à Pâques . Ses rides s' étaient formées dans la plénitude de sa chair , devenue froide et douillette . Ses yeux , pleins de vie , semblaient animés par une pensée encore jeune et vivace qui pouvait d' autant mieux passer pour une pensée de cupidité qu' il y a toujours quelque chose de cupide chez le joueur .
Son visage grassouillet offrait les traces d' une dissimulation profonde et d' une arrière - pensée enterrée au fond du coeur .
Sa passion exigeait le secret . Elle avait dans le mouvement des lèvres quelques indices de gourmandise .
Aussi , quoique ce fût la probe et excellente femme que vous connaissez , l' oeil pouvait - il s' y tromper . Elle présentait donc un admirable modèle de la vieille femme que Bridau voulait peindre .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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