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Quand par hasard il réalisait des gains inespérés , ou s' il soupait avec son vieux camarade Giroudeau , Philippe s' adressait à la Vénus des carrefours par une sorte de dédain brutal pour le sexe entier . Régulier d' ailleurs , il déjeunait , dînait au logis , et rentrait toutes les nuits vers une heure .
Trois mois de cette vie horrible rendirent quelque confiance à la pauvre Agathe . Quant à Joseph , qui travaillait au tableau magnifique auquel il dut sa réputation , il vivait dans son atelier .
Sur la foi de son petit - fils , la Descoings , qui croyait à la gloire de Joseph , prodiguait au peintre des soins maternels ; elle lui portait à déjeuner le matin , elle faisait ses courses , elle lui nettoyait ses bottes .
Le peintre ne se montrait guère qu' au dîner , et ses soirées appartenaient à ses amis du Cénacle .
Il lisait d' ailleurs beaucoup , il se donnait cette profonde et sérieuse instruction que l' on ne tient que de soi - même , et à laquelle tous les gens de talent se sont livrés entre vingt et trente ans . Agathe , voyant peu Joseph , et sans inquiétude sur son compte , n' existait que par Philippe , qui seul lui donnait les alternatives de craintes soulevées , de terreurs apaisées qui sont un peu la vie des sentiments , et tout aussi nécessaires à la maternité qu' à l' amour .
Desroches , qui venait environ une fois par semaine voir la veuve de son ancien chef et ami , lui donnait des espérances : le duc de Maufrigneuse avait demandé Philippe dans son régiment , le ministre de la Guerre se faisait faire un rapport ; et , comme le nom de Bridau ne se trouvait sur aucune liste de police , sur aucun dossier de palais , dans les premiers mois de l' année prochaine Philippe recevrait sa lettre de service et de réintégration .
Pour réussir , Desroches avait mis toutes ses connaissances en mouvement , ses informations à la préfecture de police lui apprirent alors que Philippe allait tous les soirs au jeu , et il jugea nécessaire de confier ce secret à la Descoings seulement , en l' engageant à surveiller le futur lieutenant - colonel , car un éclat pouvait tout perdre ; pour le moment , le ministre de la Guerre n' irait pas rechercher si Philippe était joueur .
Or , une fois sous les drapeaux , le lieutenant - colonel abandonnerait une passion née de son désoeuvrement .
Agathe , qui le soir n' avait plus personne , lisait ses prières au coin de son feu pendant que la Descoings se tirait les cartes , s' expliquait ses rêves et appliquait les règles de la cabale à ses mises .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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