----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Au mois de mai , il devait onze mille francs . Dans ce mois fatal , Mariette partit pour Londres y exploiter les lords pendant le temps qu' on bâtissait la salle provisoire de l' Opéra , dans l' hôtel Choiseul , rue Le Peletier . Le malheureux Philippe en était arrivé , comme cela se pratique , à aimer Mariette malgré ses patentes infidélités ; mais elle n' avait jamais vu dans ce garçon qu' un militaire brutal et sans esprit , un premier échelon sur lequel elle ne voulait pas longtemps rester .
Aussi , prévoyant le moment où Philippe n' aurait plus d' argent , la danseuse avait - elle su conquérir des appuis dans le journalisme qui la dispensaient de conserver Philippe ; néanmoins , elle eut la reconnaissance particulière à ces sortes de femmes pour celui qui , le premier , leur a pour ainsi dire aplani les difficultés de l' horrible carrière du théâtre .
Forcé de laisser aller sa terrible maîtresse à Londres sans l' y suivre , Philippe reprit ses quartiers d' hiver , pour employer son expression , et revint rue Mazarine dans sa mansarde ; il y fit de sombres réflexions en se couchant et se levant .
Il sentit en lui - même l' impossibilité de vivre autrement qu' il n' avait vécu depuis un an . Le luxe qui régnait chez Mariette , les dîners et les soupers , la soirée dans les coulisses , l' entrain des gens d' esprit et des journalistes , l' espèce de bruit qui se faisait autour de lui , toutes les caresses qui en résultaient pour les sens et pour la vanité ; cette vie , qui ne se trouve d' ailleurs qu' à Paris , et qui offre chaque jour quelque chose de neuf , était devenue plus qu' une habitude pour Philippe ; elle constituait une nécessité comme son tabac et ses petits verres .
Aussi reconnut - il qu' il ne pouvait pas vivre sans ces continuelles jouissances .
L' idée du suicide lui passa par la tête , non pas à cause du déficit qu' on allait reconnaître dans sa caisse , mais à cause de l' impossibilité de vivre avec Mariette et dans l' atmosphère de plaisirs où il se chafriolait depuis un an .
Plein de ces sombres idées , il vint pour la première fois dans l' atelier de son frère qu' il trouva travaillant , en blouse bleue , à copier un tableau pour un marchand .
" Voici donc comment se font les tableaux ? dit Philippe pour entrer en matière .
- Non , répondit Joseph , mais voilà comment ils se copient .
- Combien te paye - t - on cela ?

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
Page: 317