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" Eh ! pensa Philippe , si ce respectable Giroudeau , malgré son crâne poli comme mon genou , ses quarante - huit ans , son gros ventre , sa figure de vigneron et son nez en forme de pomme de terre , est l' ami d' une figurante , je dois être celui de la première actrice de Paris . " " Où ça se trouve - t - il ? dit - il tout haut à Giroudeau .
- Je te ferai voir ce soir le ménage de Florentine . Quoique ma Dulcinée n' ait que cinquante francs par mois au théâtre , grâce à un ancien marchand de soieries nommé Cardot , qui lui offre cinq cents francs par mois , elle est encore assez bien ficelée !
- Eh ! mais ? ... dit le jaloux Philippe .
- Bah ! fit Giroudeau , le véritable amour est aveugle . "
Après le spectacle , Giroudeau mena Philippe chez Mlle Florentine , qui demeurait à deux pas du Théâtre , rue de Crussol .
" Tenons - nous bien , lui dit Giroudeau . Florentine a sa mère ; tu comprends que je n' ai pas les moyens de lui en payer une , et que la bonne femme est sa vraie mère . Cette femme fut portière , mais elle ne manque pas d' intelligence , et se nomme Cabirolle ; appelle - la madame , elle y tient . "
Florentine avait ce soir - là chez elle une amie , une certaine Marie Godeschal , belle comme un ange , froide comme une danseuse , et d' ailleurs élève de Vestris qui lui prédisait les plus hautes destinées chorégraphiques .
Mlle Godeschal , qui voulait alors débuter au Panorama - Dramatique sous le nom de Mariette , comptait sur la protection d' un premier gentilhomme de la Chambre , à qui Vestris devait la présenter depuis longtemps .
Vestris , encore vert à cette époque , ne trouvait pas son élève encore suffisamment savante . L' ambitieuse Marie Godeschal rendit fameux son pseudonyme de Mariette ; mais son ambition fut d' ailleurs très louable .
Elle avait un frère , clerc chez Derville . Orphelins et misérables , mais s' aimant tous deux , le frère et la soeur avaient vu la vie comme elle est à Paris : l' un voulait devenir avoué pour établir sa soeur , et vivait avec dix sous par jour ; l' autre avait résolu froidement de devenir danseuse , et de profiter autant de sa beauté que de ses jambes pour acheter une étude à son frère .
En dehors de leurs sentiments l' un pour l' autre , de leurs intérêts et de leur vie commune , tout , pour eux , était , comme autrefois pour les Romains et pour les Hébreux , barbare , étranger , ennemi .
Cette amitié si belle , et que rien ne devait altérer , expliquait Mariette à ceux qui la connaissaient intimement .
Le frère et la soeur demeuraient alors au huitième étage d' une maison de la Vieille - Rue - du - Temple .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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