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L' enfant ne dit rien à sa mère de cette escapade ; mais , tous les dimanches et tous les jeudis , il passa trois heures à l' atelier de Chaudet . La Descoings , qui favorisait les fantaisies des deux chérubins , donna dès lors à Joseph des crayons , de la sanguine , des estompes et du papier à dessiner . Au Lycée impérial , le futur artiste croquait ses maîtres , il dessinait ses camarades , il charbonnait les dortoirs , et fut d' une étonnante assiduité à la classe de dessin .
Lemire , professeur du Lycée impérial , frappé non seulement des dispositions , mais des progrès de Joseph , vint avertir Mme Bridau de la vocation de son fils .
Agathe , en femme de province qui comprenait aussi peu les arts qu' elle comprenait bien le ménage , fut saisie de terreur . Lemire parti , la veuve se mit à pleurer .
" Ah ! dit - elle quand la Descoings vint , je suis perdue ! Joseph , de qui je voulais faire un employé , qui avait sa route tout tracée au ministère de l' Intérieur où , protégé par l' ombre de son père , il serait devenu chef de bureau à vingt - cinq ans , eh bien , il veut se mettre peintre , un état de va - nu - pieds .
Je prévoyais bien que cet enfant - là ne me donnerait que des chagrins ! "
Mme Descoings avoua que , depuis plusieurs mois , elle encourageait la passion de Joseph , et couvrait , le dimanche et le jeudi , ses évasions à l' Institut . Au Salon , où elle l' avait conduit , l' attention profonde que le petit bonhomme donnait aux tableaux tenait du miracle .
" S' il comprend la peinture à treize ans , ma chère , dit - elle , mais votre Joseph sera un homme de génie .
- Oui , voyez où le génie a conduit son père ! à mourir usé par le travail à quarante ans . "
Dans les derniers jours de l' automne , au moment où Joseph allait entrer dans sa quatorzième année , Agathe descendit , malgré les instances de la Descoings , chez Chaudet , pour s' opposer à ce qu' on lui débauchât son fils .
Elle trouva Chaudet , en sarrau bleu , modelant sa dernière statue ; il reçut presque mal la veuve de l' homme qui jadis l' avait servi dans une circonstance assez critique ; mais , attaqué déjà dans sa vie , il se débattait avec cette fougue à laquelle on doit de faire , en quelques moments , ce qu' il est difficile d' exécuter en quelques mois ; il rencontrait une chose longtemps cherchée , il maniait son ébauchoir et sa glaise par des mouvements saccadés qui parurent à l' ignorante Agathe être ceux d' un maniaque .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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