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Philippe , l' aîné des deux enfants de Bridau , ressemblait d' une manière frappante à sa mère . Quoique ce fût un garçon blond aux yeux bleus , il avait un air tapageur qui se prenait facilement pour de la vivacité , pour du courage . Le vieux Claparon , entré au ministère en même temps que Bridau , et l' un des fidèles amis qui venaient le soir faire la partie des deux veuves , disait deux ou trois fois par mois à Philippe , en lui donnant une tape sur la joue : " Voilà un petit gaillard qui n' aura pas froid aux yeux ! " L' enfant stimulé prit , par fanfaronnade , une sorte de résolution .
Cette pente une fois donnée à son caractère , il devint adroit à tous les exercices corporels .
à force de se battre au lycée , il contracta cette hardiesse et ce mépris de la douleur qui engendre la valeur militaire ; mais naturellement il contracta la plus grande aversion pour l' étude , car l' éducation publique ne résoudra jamais le problème difficile du développement simultané du corps et de l' intelligence .
Agathe concluait de sa ressemblance purement physique avec Philippe à une concordance morale , et croyait fermement retrouver un jour en lui sa délicatesse de sentiments agrandie par la force de l' homme .
Philippe avait quinze ans au moment où sa mère vint s' établir dans le triste appartement de la rue Mazarine , et la gentillesse des enfants de cet âge confirmait alors les croyances maternelles .
Joseph , de trois ans moins âgé , ressemblait à son père mais en mal .
D' abord , son abondante chevelure noire était toujours mal peignée quoi qu' on fît ; tandis que , malgré sa vivacité , son frère restait toujours poli .
Puis , sans qu' on sût par quelle fatalité , mais une fatalité trop constante devient une habitude , Joseph ne pouvait conserver aucun vêtement propre : habillé de vêtements neufs , il en faisait aussitôt de vieux habits .
L' aîné , par amour - propre , avait soin de ses affaires . Insensiblement , la mère s' accoutumait à gronder Joseph et à lui donner son frère pour exemple .
Agathe ne montrait donc pas toujours le même visage à ses deux enfants , et , quand elle les allait chercher , elle disait de Joseph : " Dans quel état m' aura - t - il mis ses affaires ? " Ces petites choses poussaient son coeur dans l' abîme de la préférence maternelle .
Personne , parmi les êtres extrêmement ordinaires qui formaient la société des deux veuves , ni le père du Bruel , ni le vieux Claparon , ni Desroches le père , ni même l' abbé Loraux , le confesseur d' Agathe , ne remarqua la pente de Joseph vers l' observation .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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